Disneyphile
Cruella d'Enfer fume

Disney fait son Anti-Tabac

En d’autres temps, sous d’autres mœurs, tabagisme rimait avec industrie cinématographique… On allumait une cigarette dans une salle obscure comme on feuilletait les colonnes d’un journal. Le cinéma comptait alors parmi les lieux emblématiques où les cigares pouvaient rougir dans l’obscurité, où des centaines de cigarettes pouvaient illuminer ce lieu magique. Mais la vraie fumée, magique au demeurant, irréelle, non odorante, qui avait le pouvoir d’immortaliser certains moments en instants de pure grâce, se trouvait bel et bien sur les bobines. Depuis ses grands débuts, le septième art a toujours fait l’apologie volontaire ou involontaire de l’industrie tabagique et du tabac en règle générale. Apportant un charme éternel à certaines scènes du Cinéma, le tabac, dans sa dimension mythique, réinventait totalement certains profils sur grand écran. La cigarette pouvait dès lors se vanter de créer une allure, un style, à l’instar d’une paire de lunettes, d’un parapluie ou d’une arme. Amplifiant des styles et des jeux d’acteur, elle étendait son pouvoir charismatique à toutes les psychologies possibles : de l’archétype de la femme fatale et sensuelle au très viril cow-boy en passant par le play-boy charmeur, c’est tout un pan de personnages qui a ainsi sublimé le rôle de la fumée, à la fois esthétique et affirmant un ou plusieurs traits de caractères de celles et ceux qui la dégageaient.

Il n’y a pas de fumée sans ciné

On pensera ainsi à l’époque glorieuse du cinéma hollywoodien, où des actrices comme des acteurs ont usé à l’extrême, le tabagisme à l’écran. Des Rita Hayworth, Greta Garbo et Marlène Dietrich se sont illustrées dans cet art de tenir si bien le porte-cigarette, ne prenant pas conscience à l’époque, de la désinformation et de l’intoxication qu’elles véhiculaient auprès du public. L’âge d’or d’Hollywood a eu son lot de stars masculines, clop au bec : Humphrey Bogart, James Dean, Steve McQueen ou encore Yul Brynner ont incarné toute la modernité de l’homme des années 1950, du moins son image modèle, à laquelle beaucoup de spectateurs ont pu s’identifier. Le tabac est donc gage de style, et ce depuis toujours. A une exception près, Disney… La Maison de Mickey s’est évertuée durant son Histoire à se servir de certaines images du tabagisme comme l’indépendance, le pouvoir, le luxe, la rébellion, l’excitation, à des fins proprement scénaristiques. Ses Méchants en sont ainsi les fers-de-lance… Propos à nuancer néanmoins, puisque Disney a très souvent utilisé l’image néfaste du tabac pour servir des causes plus nobles. Si la redoutable Cruella d’Enfer (Les 101 Dalmatiens) offre un tableau néfaste des ravages du tabac, tout en y ajoutant une forme de cruelle sensualité, des personnages enfants comme Pinocchio fumant le cigare, permettent aux studios de Walt de se démarquer du système moral général qui légitime la cigarette.

Cruella d'Enfer fume
Les 101 Dalmatiens (1961)

Alors que Disney prend une direction différente pendant des décennies, le cinéma continue après les années 1950 de vanter la pratique tabagique active dans ses aspects libérateurs et artistiques. Mais, malheureusement, c’est l’industrie de la cigarette, qui peu à peu, va s’emparer du cinéma en faisant du placement de produits. Et c’est bien durant les années 1990 que cette forme d’usage va exploser dans les films, particulièrement ceux provenant d’outre-Atlantique. L’univers audio-visuel n’est pas en reste et les séries télévisées multiplient, encore jusqu’à aujourd’hui, l’utilisation de l’image de la cigarette à des fins mercantiles. Des marques comme Philip Morris entament officieusement de vastes plans marketing que ce soit sur petit ou grand écran afin de servir leur cause. Tous les analystes sont unanimes à cette époque : l’acte de fumer autant que l’image de la cigarette en elle-même ressenties positivement notamment par le jeune public, sont une pure création du cinéma et de la télévision. L’art dans ce qu’il a de plus « consommateur » remplace la publicité conventionnelle. Le spectateur s’identifie au héros de son film sans mal : par exemple, Wall Street, Crocodile Dundee ou chez Disney Qui Veut la Peau de Roger Rabbit ?.

Roger Rabbit Fume
Qui Veut la Peau de Roger Rabbit ? (1988)

Business is business

Du côté du domaine de la publicité, le cowboy Marlboro continue de surfer sur le fantasme de la virilité et de la séduction à travers la cigarette. Les réactions du public sont favorables et l’industrie du divertissement sert habilement de relai à la promotion du tabagisme et des grandes multinationales du secteur. La pratique explose dès la fin des années 1980 notamment chez les moins de 18 ans. Mais il faut savoir également que depuis quarante ans, toujours à cette époque, ces mêmes industries savent pertinemment que la corrélation entre tabagisme important et prolongé et cancer du poumon est avérée. Il n’empêche que le cinéma continue de servir les intérêts lucratifs de ces firmes indignes. Sylvester Stallone et bien d’autres se font l’égérie de marques de cigarettes célèbres contre rémunération mirobolante… Cette machination des deux parties, Hollywood et l’industrie du tabac, est poussée à l’extrême. Le marketing sous-jacent de chaque marque arrive à point où, ces fameuses marquent reçoivent les scripts en avance et réfléchissent à la manière de placer leur produit dans l’œuvre. Ce mensonge générale s’amplifie de décennie en décennie mais commence à être mis en évidence dans ces années 1990. Les manœuvres perverses des industriels du tabac sont mises en évidence et les procès à leur encontre pullulent à partir de ce moment-là. Les groupes anti-tabac s’emparent de ce phénomène et appellent à des mesures fortes d’interdiction de l’identification des marques au cinéma. Des mesures luttant contre ce fameux placement de produits et cet apport financier aux grands studios sont mises en place progressivement. Si ces industries ont toujours nié user de cette pratique fallacieuse, il faut tout de même admettre que 75 % des films existants aujourd’hui utilisent comme simple accessoire ou véritable élément de jeu la cigarette. Parmi ces 75 %, près d’un tiers d’entre eux ont offert durant 5 décennies une visibilité à une firme de l’industrie tabagique.

Pinocchio Tabac
Pinocchio (1940)

Disney et le tabac

Comment les studios de l’Oncle Walt s’inscrivent dans ce courant ascendant d’anti-tabagisme au cinéma ? Walt Disney a-t-il plongé lui aussi de son vivant, si ce n’est dans du placement de produits, dans une banalisation de l’usage de la cigarette dans ses films ? Qu’en est-il du comportement de la firme après la mort de Walt ?

Tabac
Walt Disney aura toujours fumé jusqu’à la fin de ses jours

La plus grande société Entertainment du monde a choisi comme une large partie de multinationales de rendre tabou le tabac. Dès les années 1980, poussée par des lobbies associatifs anti-tabac, The Walt Disney Company rompt de manière définitive tous ses contrats qui la lie avec ses fournisseurs de produits dérivés en rapport avec le tabac, à commencer par les briquets. Mickey interdit alors l’apposition de son visage souriant sur ces articles. Après ce premier pas, une autre avancée est réalisée en 2001 : la politique anti-tabac s’applique alors aux films animés signés Disney à destination du jeune public, âgé de 13 ans et moins (mention PG 13).

L’insolence de Mickey dans Mickey Gaucho en 1928

Quand le tabac chez Disney est parti en fumée

Il faudra tout de même attendre octobre 2007 pour que son représentant, Bob Iger, s’engage solennellement,  dans un courrier envoyé au parlementaire Edward Markey du Congrès Américain, à faire en sorte que tous les films distribués sous le label Walt Disney Studios Motions Pictures proscrivent le tabagisme purement et simplement. L’entreprise de Walt Disney souhaite décourager la description de gens en train de fumer dans ses films et placer des messages d’intérêt public contre le tabac sur les DVD de tout futur film qui en montrerait l’usage. Disney devient le premier grand groupe international à lutter pour l’interdiction de la consommation de tabac. Par cette annonce et cette prise de partie, c’est l’ensemble de ses films étiquetés du nom de son fondateur qui sont concernés. Mais Disney encourage également deux autres de ses labels, Touchstone Pictures et Miramax Pictures, axés sur des films pour un public adulte, à faire fi de la cigarette. Ces deux studios gardent néanmoins une certaine flexibilité concernant l’apparition de la fumée tabagique à l’écran.

Robert Iger, PDG de Disney, fait abroger le tabac

Le représentant de la Chambre parlementaire qualifie cette démarche de « révolutionnaire » et exhorte les autres studios à imiter son exemple. Bob Iger nuance cette proscription avec la saga cinématographique Pirates des Caraïbes, qui s’octroie une utilisation exceptionnelle du tabagisme. Disney devance quelque peu la puissante association de cinéma américain (Motion Picture Association of America) qui avait laissé sous-entendre en mai de la même année son intention d’étendre sa surveillance aux films des grands studios d’Hollywood sur la présence de fumeurs à l’écran pour déterminer à quel public ces œuvres s’adressent. Avant 2007, ce véritable gendarme du cinéma hollywoodien, s’attachait à contrôler la dose de violence, de sexe ou encore de propos ordurier dans les films qui lui étaient soumis, ceci, afin de mieux rediriger les parents pour choisir les films à montrer à leurs enfants.

Davy Jones Tabac
Une scène culte mettant en avant Davy Jones

Avant cette année, les studios Disney se sont servis à tort et à travers de la cigarette, objet iconique du cinéma, comme décrit plus haut. Ainsi, le site spécialisé newsday.com a recensé entre 1999 et 2006, 161 films sur 216 produits par Disney, dans lesquels le tabac est présent. Disney se place donc dès 2007 comme un véritable pionnier dans la lutte anti-tabagique. D’autres grands groupes cinématographiques suivront cette initiative comme Universal Pictures, qui prendra en compte dans ses films la réduction du tabagisme.

Un Empire sans tabac en 2015

Depuis le jeudi 12 mars 2015, tous les Disney sans exception seront non-fumeurs ! C’est ce qu’a annoncé entre autres Bob Iger, le patron de la firme aux grandes oreilles à l’Assemblée Générale Annuelle des Actionnaires… Dans cette nouvelle politique mise en place, Iger précise qu’aucun personnage fumeur n’apparaîtra désormais à l’écran, du protagoniste principal au simple figurant en passant par les seconds rôles. Cette règle concernera tous les films produits par Disney où est inscrit la mention PG-13 – Parents Strongly Cautioned (règle du Motion Picture Association of America : certaines scènes peuvent heurter les enfants de moins de 13 ans ; accord parental recommandé, film déconseillé aux moins de 13 ans) ou en dessous. Après les Walt Disney Animation Studios et les films live-action Disney, elle s’étend désormais à toutes les autres productions Disneyiennes : MarvelLucasfilm Ltd.PixarTouchstone Pictures

Focalisons-nous sur l’omniprésence du tabac dans ce riche catalogue fumant, comptant 161 œuvres avant 2007. Une vue d’ensemble de l’utilisation du tabac dans les œuvres de Disney nous permettent de mieux appréhender ce qu’il en est… Tout d’abord, il faut savoir que Walt Disney lui-même fumait comme un pompier, ce qui lui a valu un cancer du poumon gauche fatal en 1966. Une facette dont le personnage se gardait bien de montrer à ses enfants… En effet, Walt est toujours parti du principe de ne pas donner l’exemple devant les jeunes générations, bien qu’il ait commencé à plonger dans cette addiction dès sa jeunesse, durant la Première Guerre Mondiale en France. Ce penchant pour la cigarette le suivra outre-Atlantique et Walt ne pourra plus jamais s’en passer… Mais après la guerre, âgé alors d’une vingtaine d’année, il se met également fumer la pipe. Il décrira plus tard les fumeurs de pipe comme « trop lents » et « trop décontractés ». Dès lors, il ne se consacrera plus qu’à la cigarette.

Le jeune animateur Walt Disney fumait la pipe

Le producteur s’affichera en photos très souvent la clope au bec ou à la main, se donnant de véritables airs de businessman hollywoodien, et ce, dès la fondation des Disney Studios Brothers avec son frère Roy. Walt Disney fumera jusqu’à près de trois paquets de cigarettes par jour. Ses marques favorites étaient Chesterfields, Camels et bien évidemment les Gitanes importées de France. Néanmoins, le fumeur compulsif d’Hollywood passera pour un abstinent dans le film Disney Dans l’Ombre de Mary – La Promesse de Walt Disney sorti en 2013. C’est en effet la règle prodiguée par Bob Iger en 2007 qui a obligé Tom Hanks, se glissant dans la peau de l’Oncle Walt, à ne porter aucune cigarette aux lèvres durant les deux heures quinze de film. Il faut s’imaginer que le réalisateur John Lee Hancock et la productrice Alison Owen ont dû sérieusement se pencher sur la question de cette mauvaise habitude. Officiellement, ce lissage politiquement correct du créateur de Mickey se limite à l’abstraction de la cigarette. Mais c’est déjà beaucoup pour un film désireux de faire revivre une part véritable de l’Histoire de studios Disney… Le cinéaste et la productrice auraient pourtant souhaité bénéficier d’une dérogation exceptionnelle auprès de la direction des studios afin de décrire avec honnêteté la figure maitresse du cinéma d’animation… L’aboutissement sera peu concluant : ils réussissent néanmoins à suggérer ce trait addictif du personnage dans une scène, où Tom Hanks écrase furtivement un mégot déjà éteint dans un cendrier sur son bureau. La respiration sifflante, inhérente à la toux du fumeur, se devine également dans la prestation que nous livre l’acteur.

Tom Hanks Walt Disney
Walt Disney incarné par Tom Hanks en 2014

Mais l’interdiction de fumer à l’écran annoncée en 2007 sera bien respectée dans ce film, qui par cet écueil historique volontaire décevra une partie des Fans. A contrario, les créateurs du film s’inscriront dans la pensée de Walt, qui souhaitait ne pas donner le mauvais exemple aux enfants et Dans l’Ombre de Mary – La Promesse de Walt Disney restait ni plus ni moins qu’une production Disney familiale, qui se devait de s’accorder avec cette règle. La parade des créateurs du film rend une sorte d’hommage à Walt qui souhaitait ne pas être vu à son bureau en train de fumer : Tom Hanks écrase précipitamment sa cigarette dans le film, au moment même où l’auteur Pamela Lyndon Travers entre dans la pièce, provoquant ainsi sa colère d’avoir été surpris en flagrant délit… Néanmoins, tout le monde savait pertinemment à l’époque, à commencer par ses employés, qu’il était accroc à la cigarette.  Tout le personnel savait quand le patron arrivait dans son bureau de Burbank le matin, aux seuls toussotements de fumeur qu’il percevait au bout du hall d’entrée. Aujourd’hui, il est assez difficile de trouver des photos d’archives représentant Walt fumant. Il faut dire que beaucoup de photos du maître ont été volontairement retouchées mais on devine assez aisément sur les clichés retravaillés de Walt, sa cigarette tenue entre l’index et le majeur. Enfin, il fut le premier doubleur officiel de Mickey Mouse, mais sa toux incessante l’obligera à céder sa place à l’acteur Jim McDonald… Le Papa de Mickey succombera à l’âge de 65 ans de sa maladie laissant un Empire colossal derrière lui.

Tout le personnel savait quand le patron arrivait dans son bureau de Burbank le matin, aux seuls toussotements de fumeur qu’il percevait au bout du hall d’entrée.

Que ce soit avant ou après sa mort, le tabac, sacralisé par l’industrie cinématographique, traversera les productions Disney : au total, pas moins de 161 œuvres jusqu’en 2006, comme nous le disions plus haut. La maison de Mickey regorge de personnages adeptes de la cigarette, de la pipe, du cigare ou de toute autre forme de consommation tabagique.

Tout d’abord, le personnage par excellence des Studios d’Animation de Walt Disney, Mickey Mouse, fumera dans le cartoon Mickey Gaucho en août 1928. Ce fut un essai pour Ub Iwerks et Walt Disney, qui finalement décideront de ne plus jamais associer le tabac à leur souris emblématique. Le deuxième cartoon recensé est Cock o’ the Walk dévoilé en 1935. Ce 57ème épisode des Disney’s Silly Symphonies dépeint un coq de basse-cour vigoureux et conquérant. Silhouette musclée, chapeau melon, grande crête et… cigare au bec ajoutent à la puissance du personnage. Toujours du côté des premières productions animées, Cabaret de Nuit (1937), de la collection des Disney’s Silly Symphonies, montrera un insecte consommateur de tabac…

Woodland Café
Cabaret de Nuit (1937)

Mais c’est bien à partir des années 1940 que le tabac démarre en force dans les productions du label de Mickey. Les chercheurs qui se sont penchés sur la question sont unanimes. D’après de récentes publications des revues Journal of the American Medical Association, Pediatrics et Mass communication & Society, au moins un personnage fume dans 43 à 56 % des films animés sortis entre 1937 et 2000. Chez Disney, cette fourchette varie entre 52 et 75 %… Bien avant les Méchants Disney adeptes du tabagisme, ce sont bien de vrais « gentils » qui se sont intoxiqués devant les spectateurs. Dès 1940, c’est même un enfant qui fait les frais de cette banalisation sociale. Pinocchio arrive tout en haut du classement que ce soit par la profusion d’éléments tabagiques, alcooliques ou de maltraitance. L’œuvre parfaite de Walt reste le parfait exemple de la perversité que représente le tabac. Pas moins de quatre personnages fument le cigare sans aucune conscience du danger qui peut les attendre : le duo de filous Gédéon et Grand Coquin tout d’abord mais aussi le tentateur Crapule et bien évidemment Pinocchio lui-même sur l’Île aux Plaisirs tout comme bon nombre d’enfants. Le site comporte d’ailleurs une « rue du tabac »… En outre, le bienveillant Gepetto quant à lui fume la pipe dans une scène du film. Le cigare est également l’accessoire incontournable de Jim Crow dans Dumbo en 1941, un personnage qui assoit son autorité au sein d’un gang des corbeaux en partie grâce à cet élément. Il semble d’ailleurs que le réalisateur Tim Burton, chargé de transposer l’histoire de Dumbo en chair et en os au cinéma en 2019, respecte bel et bien l’interdiction de Disney de montrer le tabagisme sous quelque forme que ce soit.

Jim Crow Cigare
Dumbo (1941)

Deux ans plus tard sort sur les écrans Saludos Amigos, où dans la séquence « Dingo en Argentine », notre héros fume allégrement à dos de cheval, proposant alors une vision très enjolivée du fameux cow-boy flegmatique… Mais le grand personnage au cigare des studios Disney dans les années 1940 reste José Carioca apparu sur grand écran successivement dans Saludos Amigos (1942),  South of Border with Disney (1942), Les Trois Caballeros (1944) et Mélodie Cocktail (« C’est la Faute de la Samba », 1948). Très populaire au Brésil, ce personnage haut en couleurs a fait le succès de milliers de comic-books dans son pays, aux Etats-Unis et en Europe. Représenté toujours un cigare à la main, il est considéré par ses animateurs à l’époque comme le digne représentant des habitants traditionnels de Rio de Janeiro. Il faut dire que le cigare brésilien est, à l’instar de Cuba ou de la Jamaïque, une véritable institution culturelle. Toujours du côté de Mélodie Cocktail, le légendaire Pecos Bill se voit consacré tout un cartoon dans le film composite. Disney n’oublie pas la valeur sûre du cow-boy, la cigarette… En 1946, dans le long-métrage anthologique La Boîte à Musique, on peut apercevoir un individu fumant le cigare, qui se bat avec le second propriétaire de Johnny Fedora (dans la séquence « Johnny Fedora and Alice Blue Bonnet »).

Les Trois Caballeros (1944)

A partir de la fin des années 1940 – début 1950, les studios Disney vulgarisent la pipe dans leurs productions animées. C’est Le Crapaud et le Maître d’Ecole qui introduit cet élément tabagique : tant Baltus Van Tassel, riche bourgeois dans La Légende de la Vallée Endormie que Monsieur Rat, personnage droit et inflexible de La Mare aux Grenouilles en sont des fervents utilisateurs. Mais le cigare reste très en vogue dans les années 1950 dans la culture américaine et il n’est pas étonnant de voir certains personnages comme le Roi dans Cendrillon fêter les fiançailles de son fils le Prince avec des tas de cigares… Un an après ce film, Disney met en scène La Chenille dont les émanations fumantes de narguilé sont devenues cultes (à se demander si il ne renferme pas plutôt de l’opium…). Ces nuages soporifiques en disent long sur l’étrangeté psychologique du personnage de Lewis Carroll. Il s’agit également d’une volonté de son animateur, Eric Larson, de lui apporter une touche orientale éclectique dans l’univers psychédélique d’Alice (Absolem porte également des babouches). Toujours dans le Pays des Merveilles, la pipe vient assagir un personnage comme le Dodo. Enfin, sous sa bonhommie apparente, le Morse incarne parfaitement la malhonnêteté dans le film : son cigare lui donne un air puissant.

Chenille
Alice au Pays des Merveilles (1951)

Parallèlement à la branche animée, Walt Disney joue à fond la carte du folklore pirate dans L’Île au Trésor sorti en 1950. Ce premier film intégralement tourné en prises de vue réelles comporte deux scènes où les protagonistes fument : une première, où Squire Trelawney et le Docteur Livesy  se préparent et savourent devant la caméra une longue pipe, après un bon dîner à la taverne de Long John Silver ; une seconde où Trelawney s’allume sa pipe personnelle à l’aide de la bougie du jeune Jim Hawkins.

L’Île au Trésor (1950)

La grande fresque vernienne 20,000 Lieues Sous les Mers n’y échappe pas et les résidents du Nautilus à commencer par son capitaine fument eux aussi comme des pompiers…

20,000 Lieues Sous les Mers (1954)

Dans le cartoon Pile ou Farces, on se demande si Donald n’est finalement pas l’un des personnages les plus odieux qui soient. Sorti en février 1949, il propose aux spectateurs contemporains une vision d’horreur : des enfants forcés à fumer à outrance… Les neveux de Donald, Riri, Fifi et Loulou, sont ainsi punis par leur oncle alors qu’ils voulaient seulement lui offrir pour son anniversaire une boite de cigares. Ils expriment le dégoût le plus profond à l’écran. Aucun retournement de situation ne vient par ailleurs faire figure de bonne morale. Une fois encore, le tabagisme est considéré comme une mœurs acceptée par la société.  Ainsi, pendant plus de vingt ans, la vision du tabac sera perçue comme un danger quelconque chez Disney

Pile ou Farces (1949)

Walt Disney autorise d’autres Personnages phares de son écurie à s’afficher en train de fumer dans des cartoons. L’Ami Dingo, soumis aux influences de la société américaine campe le personnage de George Geef, un fumeur invétéré dans le cartoon Défense de Fumer sorti en 1951. C’est un court-métrage intégralement centré sur la cigarette et la pipe… Néanmoins, l’idée est que notre héros puisse s’arrêter de fumer par différents moyens.

Défense de Fumer (1951)

La nicotine est de mise dans de nombreux autres films durant les années qui suivent. Et l’image que Disney en donne à cette époque est tout simplement déplorable : aucun message négatif, aucune dissuasion, aucun rappel sur les effets secondaires encourus ne sont mis en avant. Pire, la cigarette est tout aussi acceptable à l’écran que dans la vie réelle, l’industrie et le marketing tabagiques y étant pour quelque-chose. On recense alors très peu de personnages se faisant dire qu’ils devraient cesser de fumer. Et, comble du genre, dans Peter Pan en 1953, Wendy, qui sauve in extremis son frère Michel de la fumette, refuse de participer au traditionnel tour du calumet de la paix offert par les Indiens, mais passe ce dernier à un autre enfant de l’assemblée… L’antagoniste du film, le capitaine Crochet, n’est pas en reste : il est, en effet, montré souvent en train de fumer sur un porte-cigare, ce qui lui permet de fumer deux cigares à la fois. L’enfant des années 1950 baigne donc dans la publicité pro-tabagique passive, notamment dans les films d’animation de Disney.

Peter Pan (1953)

En 1949, dans la séquence « Johnny Fedora & Alice Blue Bonnet » du Grand Classique d’animation La Boîte à Musique, un mégot traîne sur le trottoir quand un clochard veut ramasser le Fedora par terre. En 1961, Les 101 Dalmatiens atteint son paroxysme avec la fumée à l’écran. Quand Cruella d’Enfer tenant constamment une cigarette à la main, n’apparaît pas, c’est Roger Radcliffe, le maître du chien Pongo, qui se charge de donner le mauvaix exemple, fumant la pipe allègrement. Mais on pourra aisément associer ce fumeur à la figure patriarchale du foyer ou l’homme puissant, longtemps prônée par Disney sous toutes les coutures jusque dans les années 1980. Don Diego de la Vega alias Zorro est un vrai amateur de cigares dans la série éponyme. Pat Hibulaire est très souvent grimé avec un cigare au bec dans les différentes productions où il intervient. M. Banks dans Mary Poppins (1964) est aussi fumeur. Le Plus Heureux des Milliardaires en 1967 met en scène l’acteur Fred MacMurray en millionnaire excentrique, pipe à la bouche. Et par extension, le trait de caractère qu’est la sagesse fait souvent bon duo avec le tabac : Merlin l’Enchanteur est un grand amateur de pipe tout comme ce bon vieux Basil, qui a besoin de ce tabac pour mieux réfléchir dans Basil, Détéctive Privé (1986). C’est d’ailleurs dans ce même film qu’un méchant icônique en la personne de Ratigan est dépeint de la plus bourgeoise des façons qui soit avec son fume-cigarette qu’il tend à ses congénères qui lui allument durant sa scène musicale. On aperçoit également Jim Dear fumer la pipe dans La Belle et la Clochard (1955) comme un bon vieux notable. Aussi, Popeye (1980) arbore fièrement la pipe grâce à Robin Williams.

Zorro (1957)

 

Autant on peut imaginer qu’elle puisse être facilement respectée dans certaines divisions, autant l’idée de ne plus voir apparaître une seule cigarette, un seul cigare dans des films super-héroïques ou dits « d’adultes » comme Touchstone semble bizarre !

On admet aisément que les films à destination de la jeunesse puissent recevoir cette condition… C’est là le combat légitime mené par The Walt Disney Company, qui, sans pour autant effacer son patrimoine, s’implique directement dans la lutte anti-tabagique, ses oeuvres (à fort rayonnement) étant évidemment susceptibles d’influencer dans un sens comme dans l’autre son public. Qu’en-est-t-il des productions Marvel par exemple où des Personnages phares de l’univers des comics sont quasi-symbolisés par leur penchant pour la fumée ? Doit-on sacrifier tout un pan du travail de plusieurs décennies d’artistes qui se sont enchaînées pour ériger des personnages comme J. Jonah Jameson, le célèbre rédacteur en chef du Daily Bugle dans le New York de Spidey ? Pourquoi sans subtilité aucune étendre à tout l’univers Disney cette règle ? En outre, Disney pourra très facilement reconnaître qu’il a utilisé la cigarette pour nombre de ses succès récents ou anciens : la saga Pirates des Caraïbes (2007), Le Tour du Monde en 80 Jours (2004), Chicago (2004),

Doit-on s’attendre à des Méchants Disney sans aucune personnalité ? On savait qu’ils faisaient encore parti des rares figures à l’écran à s’octroyer le droit de fumer… C’est là qu’on se dit qu’être français donne droit encore à certaines libertés artistiques dans le monde du cinéma, de la danse, du théâtre… Disney a ajouté que les personnages historiques fumeurs pourra garder sa clope au bec… Les films en prises de vue réelles de Disney et Touchstone retraçant l’histoire de personnages fumeurs auront donc droit à cette levée d’interdiction. Mais, de notre côté, on penche plutôt pour du cas par cas… Preuve en est avec le récent Dans l’Ombre de Mary – La Promesse de Walt Disney, où les plans de Tom Hanks en train de fumer (et Dieu sait que Walt fumait comme un pompier) étaient inexistants. Il s’agissait là pour la direction de Disney de ne pas ternir l’image de l’Oncle Walt, icone qui a donné son nom à l’entreprise, en véhiculant par de « mauvais » penchants… On comprendra aisément ce choix, ce qui nous confirmera que le cas par cas sera envisagé selon nous à chaque film produit par la maison de Mickey. Enfin, on sait que les films qui auront un rating R ne seront pas non plus concernés par cette interdiction.

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Florian Mihu

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