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L’Histoire Personnelle de David Copperfield – Critique du film Searchlight

« Il y a des livres dont le dos et les plats sont de beaucoup ce qu’ils ont de meilleur » a écrit l’illustre Charles Dickens. David Copperfield ou, de son vrai titre, L’Histoire, les Aventures et l’Expérience Personnelles de David Copperfield le Jeune, huitième roman de l’auteur britannique, n’est clairement pas à ranger dans cette liste. Il n’aura pas fallu longtemps pour que cette histoire s’échappe du cadre littéraire et devienne un récit intergénérationnel. Plus d’un siècle et demi après sa parution, cette aventure dans une Angleterre victorienne si bien décrite par l’écrivain, continue d’inspirer les artistes. Le film L’Histoire Personnelle de David Copperfield, distribué en salles aux États-Unis par le label Searchlight Pictures le 28 août 2020, est à ce titre une adaptation très originale de ce roman.

Charles Dickens (encore) au cinéma

Le film est donc l’énième transposition sur grand écran du roman David Copperfield. Ce dernier s’est d’abord fait connaître pour la première fois sous forme de parution périodique par l’imprimeur Bradbury and Evans, à partir du printemps 1849. Alors même qu’il était sérialisé, des adaptations scéniques étaient déjà en cours, malgré le fait que les producteurs ne savaient pas – ne pouvaient pas encore savoir – comment Charles Dickens allait conclure son histoire. L’ensemble des vingt numéros et dix-neuf parutions est regroupé dans un seul et même livre dès novembre 1850 et le 6 janvier 1851, une version dramatisée (et radicalement raccourcie) est présentée sur la scène du Lyceum Theatre de New York. Mais c’est véritablement vers la fin de la vie de Charles Dickens et surtout après sa mort, que le roman atteindra le statut de chef-d’œuvre critique et succès commercial. Dickens lui-même de son vivant profite de ce roman (dix ans après sa parution) pour en proposer des lectures publiques dramatisées. « J’étais à moitié mort quand j’avais fini », avait-t-il déclaré à la suite d’une de ses prestations, où il y mettait tout son cœur.

david copperfield

Comme Un Chant de Noël et à moindre degré Oliver Twist, David Copperfield est une histoire qui jouit d’un pouvoir de regénération exceptionnel. En d’autres termes, et ce, dès sa naissance, les aventures de ce héros ont montré une telle résistance face à la critique (qui l’a boudé au départ) et une ingéniosité dans leur format, qu’elles ont pu survivre facilement au fil du temps. Est-il préférable de lire d’abord le livre, de se le faire lire, de le voir se jouer sur scène ou au contraire sur grand écran ? Le film L’Histoire Personnelle de David Copperfield tente de proposer une sorte de synthèse de cette richesse de possibilités orales. Le film s’ouvre d’abord par une introduction dans une salle de théâtre à l’italienne bondée, où notre héros, David, qui a atteint l’apogée de sa carrière d’écrivain, se demande s’il deviendra le héros de sa propre vie. Cette scène fait tout de suite écho à l’ouverture du roman de Dickens. Le postulat de départ est posé : cette adaptation suivra en partie la trame du livre, en prenant malgré tout quelques libertés sur le récit.

L’Histoire Personnelle de David Copperfield, une revisite dans l’héritage

La toute première partie du film nous ramène aux origines du héros. Nous rencontrons sa mère fragile, Clara, qui est interprétée par Morfydd Clark. Plus tard dans le film, dans un tour de passe-passe œdipien, la même actrice incarnera Dora Spenlow… Le personnage de la robuste Peggotty (Daisy May Cooper), la femme de chambre qui supervise l’enfance de David et ne vacille jamais dans son amour pour lui, apparaît aussi. Comme le personnage de Joe dans Les Grandes Espérances, elle est l’un de ces piliers psychologiques et spirituels, totalement de confiance, qui existent dans l’univers de Dickens, et ce, malgré l’absence d’une éducation bourgeoise.

david copperfield

Que vous soyez fervent lecteur des classiques de l’auteur, que vous l’ayez lu il y a fort longtemps ou qu’au contraire, vous ne vous soyez jamais plongé dans un de ses romans, le film L’Histoire Personnelle de David Copperfield a suffisament de qualités pour ne pas perdre la majorité de son public, à commencer par son ton proche de celui d’un conte de fées. D’où l’incursion bruyante de Betsey Trotwood (jouée par la bluffante Tilda Swinton), la sœur du défunt père de David ; elle a l’air assez sorcière pour être méchante, et est consternée que David soit si mal élevé, mais son cœur est sain et bon. En revanche, le beau-père de David, Edward Murdstone (Darren Boyd), et sa sœur, Jane (Gwendoline Christie), sont vraiment méchants, chassant le garçon de chez lui et l’exposant aux rigueurs de fer du travail en entrepôt. Le petit chaperon rouge a eu de la chance avec ses prédateurs, vous le verrez par la suite.

Moins de violence victorienne et plus d’espoir dans cette adaptation

Point notable : le roman, en fait, est bien plus infesté d’antagonistes que ne le laisse supposer sa bonne réputation. Il résonne par ses prouesses de cruauté et d’expressions grondantes de mépris. Même les personnages mineurs, rencontrés en route, parlent comme s’ils crachaient ; il était important pour nous que le réalisateur écossais Armando Iannucci rende cet aspect du roman le plus crédible possible dans son adaptation. On avait pu d’ailleurs lui faire le reproche d’avoir été peut-être trop bienveillant dans le traitement de ses personnages dans son précédent film, La Mort de Staline (2017), si bien qu’on était vraiment en droit de s’attendre ici à ce que la bonté ait du mal à s’immiscer. Dans ses aventures, David Copperfield vit, il est vrai, un véritable cauchemar, avant bien évidemment de connaître le bonheur.

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Mais son nouveau périple filmé par Iannuci est bien plus joyeux (qu’il ne le faudrait ?). Le héros est très extravagant, surdynamité pourrions-nous dire. De la solitude profonde et lente du jeune David, il n’y a aucun signe. Mêmes les scènes d’action, qui devraient aussi apporter une certaine forme de noirceur propre à cet univers, sont souvent plombées par une fausse candeur qui se répand dans la psychologie intrinsèque des personnages. Il y a malgré tout de bons moments de gaieté dans le film et il faut les saluer. La relation qui unit David à son camarade de classe David Steerforth (Aneurin Barnard), qui le surnomme affectueusement Daisy, est assez bien construite et la destruction de leur amitié par un acte soudain de trahison est tout aussi émouvante finalement. Cette nuance apportée à ce duo manque cruellement au reste du film…

Un casting déséquilibré ou un scénario déséquilibré ?

Dans aucun des cas, la dépravation de cette époque ne vous fera pâlir ici. Il en va de même pour l’oléagineux Uriah Heep (incarné par l’excellent Ben Whishaw), le légiste qui peut se faufiler dans le cerveau des gens, comme dans leurs tripes, avec sa démonstration d’humilité. L’acteur, connu pour son rôle de Q dans la franchise James Bond, son interprétation vocale Paddington Bear et sa participation au (Le) Retour de Mary Poppins, est un acteur de grand tact et de réserve, mais est-il un instigateur naturel de la terreur ? Pas vraiment non plus. Un acteur comme Boris Karloff, qui a campé le même rôle dans une production radiophonique de 1950 de David Copperfield, était bien plus convainquant. Vous pouviez sentir sa présence imminente et entendre la menace qui se tordait dans son ton. Vous pourriez pratiquement le sentir. Et ce n’est pas le cas avec sa version de 2020.

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Quand les Studios d’Animation Walt Disney adaptaient avec brio Un Chant de Noël avec le film Le Noël de Mickey en 1983, on était finalement bien plus proche de la violence que contenait l’époque victorienne. Sans exagération stylisée, sans besoin de satisfaire une frange du public, le film s’approchait davantage d’une sorte de vérité émotionnelle que ne le fait L’Histoire Personnelle de David Copperfield en 2020.

Un David Copperfield très théâtral

Que reste-t-il alors de cette énième adaptation du grand voyage de vie de Copperfield et qu’en penserait Charles Dickens s’il était vivant ? Peut-être serait-il émerveillé par la théâtralité sans faille et l’élan du scénario. Il comprendrait sûrement que le compactage de l’histoire en deux heures est une nécessité, plutôt qu’une frustration. Il serait égalament peut-être un poil déçu du traitement du personnage de Micawber joué par Peter Capaldi, qui le fait passer de méchant dans le livre à une sorte de figure nerveuse cabotinant sans cesse. Il saluerait aussi l’interprétation fine et proche de son univers des acteurs Tilda Swinton, Gwendoline Christie et – le plus attachant de tout – Hugh Laurie. Ce dernier campe M. Dick, le locataire de tante Betsey, qui est obsédé par la décapitation du roi Charles. Sa douce folie est amenée avec beaucoup de subtilité. Et c’est probabement un trait qui marque plus que jamais ce film : non seulement David est prisonnier de sa propre histoire personnelle, mais tous les autres personnages qui l’entourent sont assis sur une vie faite de manies, de souvenirs, de tics et de névroses qui les empêchent de s’accomplir autant qu’ils le voudraient, ce qui les rend bien plus vivants qu’on ne le pense.

Le film sans être forcément très coloré aborde cette histoire avec une certaine forme de spectacle. L’ambiance globale pourrait nous faire penser à une réinterprétation moderne d’une pièce de William Shakespeare comme il s’en fait à Londres très souvent. Ce petit twist supplémentaire dans un film d’époque est servi, on l’a dit plus haut, pas un casting assez hétéroclite. Mais Dev Patel fait le job à merveille de son côté. Son enthousiasme charmant et malheureux dans la peau du héros lui permet de porter à bras le corps le film tout le long. Pour être assez exhaustif, nous avons également Benedict Wong qui joue M. Wickfield, un avocat aimable, crédule et constamment éméché. Sa fille, Agnès, l’un des rares personnages sains d’esprit de toute cette fresque, est incarnée par l’actrice Rosalind Eleazar. Et si Steerforth, camarade de Copperfield, est blanc, sa mère, incarnée magistralement par Nikki Amuka-Bird, est noire de peau. Par ce choix de casting rétablissant une sorte d’égalité ethnique dans cette époque passée, voilà encore un très beau clin d’œil à Charles Dickens et sa critique farouche de l’esclavage dans son récit Notes Américaines (1842).

Dev Patel livre une interprétation charmante de David Copperfield

On ignore en revanche si toutes ses subtilités ont bel et bien été pensées en amont comme telles ou si l’équipe créative de L’Histoire Personnelle de David Copperfield s’est contentée, par piété des exigences du moment, d’aplanir les divisions raciales (comme si elles existaient à peine dans l’Angleterre du milieu du XIXe siècle) et d’effacer les chroniques d’une époque rongée par des problèmes sociaux et économiques, qui sont pourtant l’un des thèmes fondamentaux de l’œuvre de Charles Dickens. La proposition du réalisateur Iannucci suscite le débat en tout cas et les opinions différentes se valent sur ce film. Concernant cet aspect modernisé, le cinéaste répond ceci en interview : « Bien que cela se passe en 1840, pour les gens du film, c’est le présent. Et c’est un cadeau passionnant. » C’est un avis qui se tient et, malgré ses lacunes, notamment par des prises de liberté sur le livre qui ne font pas toujours mouche, L’Histoire Personnelle de David Copperfield est une merveilleuse aventure pleine d’espoir. Ses notes positives et ses personnages plus ou moins savoureux donneront, on l’espère, envie à tous de se replonger dans le roman original qui l’inspire.

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