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Le Petit Prince : le film de Orson Welles et Walt Disney qui n’a jamais vu le jour

De Joann Sfar à Moebius et Juillard en passant par Damien Saez, Richard Cocciante, la compagnie Guy Gravis, Rachel Portman, Stanley Donen ou le cinéaste Mark Osborne, nombreux sont les artistes à avoir voulu adapter sous toutes les formes inimaginables les aventures du jeune héros créé par Antoine de Saint-Exupéry en 1943. Que ce soit sous forme de pièce de théâtre, en livre audio, en comédie musicale, en opéra, en livre illustré, en chanson, en bande dessinée, en film en prises de vue réelles ou animé, Le Petit Prince compte parmi ces rares œuvres littéraires du XXe siècle à avoir atteint le rang de phénomène. Traversant les générations et l’inconscient collectif, il continue d’inspirer encore aujourd’hui.

Le Petit Prince, un phénomène culturel

Aujourd’hui, le conte philosophique s’est transformé en véritable machine à sous au point d’être décliné dans de nombreux secteurs de produits dérivés mais aussi dans des parcs à thèmes. Le Futuroscope a accueilli en 2011 une attraction sur cet univers. Et un parc à thème entièrement dédié à cette « franchise » a vu le jour en juillet 2014 à Ungersheim, en Alsace. On peut également rappeler l’effigie des billets des 50 nouveaux francs qui n’était nulle autre que celle de l’auteur de ce récit, représenté en aviateur accompagné de son avion et son héros imaginaire.

Saint-Exupéry
Portrait d’Antoine de Saint-Exupéry

Antoine de Saint-Exupéry a d’abord pu publier son livre aux États-Unis dans deux langues différentes, l’anglais et le français. C’est chez Reynal and Hitchcock, la même maison d’édition de Pamela Lyndon Travers, l’auteure restée célèbre pour la création du personnage de Mary Poppins, que Saint-Exupéry put livrer sa nouvelle histoire. Travers mais aussi l’écrivaine et aviatrice française Anne Lindbergh faisaient partie à cette époque des fervents défenseurs de son œuvre et y reconnurent indéniablement un conte au ton amer et désabusé sur l’enfance perdue. Un roman d’un écrivain « malheureux, malade et solitaire » selon Anne Lindbergh et défini comme une « distillation de la souffrance » selon P. L. Travers. Mais les ventes du livre ne furent pas mirobolantes dès sa sortie, restant malgré tout salué par la critique dans les journaux. Seulement 7000 exemplaires en français et 30 000 anglais ont été vendus jusqu’à l’automne 1943.

Quand Orson Welles s’est décidé à adapter ce conte

La chance faillit sourire à l’écrivain grâce à Orson Welles. Le cinéaste âgé de 27 ans et qui, en novembre de la même année, avait adapté des extraits des romans Vol de Nuit et de Terre des Hommes (de Saint-Exupéry également) pour des émissions de propagande à la radio, découvrit l’ouvrage. S’en est suivie une longue séance de travail avec son associé et des séances de lecture nocturnes. Welles avait une seule idée en tête dès le départ, réaliser en deux mois un long-métrage combinant des prises de vue réelles et de l’animation. Le réalisateur qui avait alors à son actif la réalisation de  Citizen Kane et La Splendeur des Amberson, a pour cela fait l’acquisition des droits d’adaptation cinématographique (et radiophoniques) du (Le) Petit Prince, le 16 juin 1943 très précisément, comme nous le rapporte l’acte qui lui cède les droits, signé de l’agent littéraire américain de Saint-Exupéry, Maximilian Becker. De son côté, Saint-Exupéry était reparti en guerre, mais avait donné son accord à son agent (surtout pour des raisons lucratives, l’écrivain ayant à cette époque besoin perpétuellement d’argent). Le contrat de projet d’adaptation par Welles représentait pour l’auteur 12 500 dollars de rémunération.

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Exposition hommage The Little Prince: A New York Story, présentée au Morgan Library & Museum en 2014

De l’autre côté de l’Amérique, le pape de l’animation Walt Disney continue d’innover encore et toujours plus ; le mélange du « live-action » et de séquences animées n’est désormais plus insurmontable pour le producteur confirmé qui sort deux ans plus tôt Le Dragon Récalcitrant (malgré son four retentissant). Welles crée de toute pièce son scénario et s’octroie même le rôle de l’aviateur. Il espère également superviser l’ensemble du tournage des séquences en prises de vue réelles à proprement parler, et mise sur les talents des studios de Disney afin de produire des tableaux animés dépeignant les paysages fantastiques décrits dans le roman.

Un choc d’égo entre deux monstres du cinéma

Le papa de Mickey reçoit Welles dans son bureau au siège de Burbank… quelques brefs instants ! Au grand désespoir du cinéaste, Disney reste de marbre. Pire, il aurait même abrégé net l’exposé du projet ambitieux du réalisateur en quittant son bureau sur le champ. Si l’on en croit les bruits de couloirs de l’époque, Walt aurait très mal pris les manières engageantes de Welles, probablement car ce dernier venait pour demander des « services » à Disney au lieu de lui confier directement les rênes. Walt Disney aurait déclaré dans la foulée à l’un de ses collaborateurs : « Il n’y a pas la place ici pour deux génies dans un même bureau ! ». Bien évidemment, cette phrase ne pourra jamais vraiment être confirmée. Plus probable en revanche, Disney ne mesurait pas le potentiel d’un tel film. Cette confrontation entre deux adultes n’aurait pas surpris le Petit Prince…

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Illustration originale du conte

Le Morgan Library & Museum renferme aujourd’hui l’un des exemplaires rarissimes du script détaillé de Welles avec les séquences animées prévues pour Disney. Le Mary Poppins qu’avait imaginé Welles ne verra finalement jamais le jour après cette déception. Saint-Exupéry ne connaîtra jamais le succès de son livre, sorti à titre posthume en France chez Gallimard. Depuis sa parution outre-Atlantique en 1943, le livre s’est vendu à 145 milllions d’exemplaires dans plus de 300 langues et dialectes. Aujourd’hui, c’est l’ouvrage littéraire le plus vendu et le plus traduit au monde après la Bible et le Coran.

Le succès intergénérationnel du Petit Prince

Pour ce qui est de son passage sur grand écran, les premiers essais ont eu lieu en 1966 en Union Soviétique sous la direction de Arünas Zebriünas. En 1974, le réalisateur Stanley Donen, qui a réalisé Singin ‘In The Rain, sort une version musicale de cette histoire. Gene Wilder joue le Renard dans un costume et une cravate orange, et Bob Fosse – qui ressemble beaucoup à Michael Jackson dans « Billie Jean » – est le Serpent qui danse le disco. Il faudra attendre 1990 pour que des artistes français se collent à la tâche avec le film de Jean-Louis Guillermou. Mais Le Petit Prince va connaître un nouvel essor durant l’été 2015 dans un film d’animation exceptionnel. Mark Osborne est parti du postulat suivant : « J’ai beaucoup réfléchi et j’ai compris que la clé serait de raconter une histoire plus large qui englobe le livre… une histoire qui soit un écrin protecteur pour le Petit Prince et son aventure ». C’est pour cette raison que le film ne raconte pas l’histoire du Petit Prince comme nous l’a narrée Saint-Exupéry. Mark Osborne a pris le parti de transmettre l’histoire du Petit Prince à travers les yeux de la petite fille et de placer ainsi le livre au cœur d’une histoire plus large afin d’en préserver toute la force et la poésie. Le Petit Prince sert de trait d’union entre la petite fille et l’aviateur.

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Extrait du scénario du (Le) Petit Prince écrit par Orson Welles en 1943 et proposé à Walt Disney
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