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Howard – Critique du Documentaire Disney+

Howard Ashman est plus vivant encore aujourd’hui qu’auparavant. Mais s’il était encore de ce monde, probablement aurions nous des compositions musicales peut-être plus étoffées et cohérentes dans certains Classiques de l’animation Disney. Car, à la vue du documentaire qui lui est dédié sur Disney+, c’est bien ce qui le caractérisait en tant qu’artiste, le sens des choses. Le partenaire légendaire du compositeur Alan Menken avait à cœur d’utiliser la musique pour faire avancer l’histoire et offrir à ses personnages des moments poignants qui les façonnent. C’est probablement le défaut principal que nous reprocherons à certaines bande-originales de films d’animation Disney de ces dix dernières années : certaines chansons accessoires interrompent trop violemment la dramaturgie et en oublient l’essentiel.

Un homme et une carrière

Mais ce n’est pas le propos ici. La Renaissance des Studios d’Animation Walt Disney à la fin des années 1980 a permis certainement aux nouvelles générations de faire prospérer le label mais les équipes créatives de l’époque ne pourront jamais être comparées à celles d’aujourd’hui. Il y a un monde entre les deux. Howard Ashman est sans aucun doute l’un des marqueurs forts de cette période ô combien prolifique et libre. Lui qui a travaillé en tant que parolier sur La Petite Sirène (1989), La Belle et la Bête (1991) et Aladdin (1992) avant de disparaître des suites des complications liées à son infection au VIH, est inscrit à tout jamais dans le panthéon des plus grands artistes de l’Empire Disney, et plus globalement du septième art. Les sensibilités du théâtre musical qu’il a instillées dans ces films d’animation ont permis au studio de Walt, qui était encore quelques années plus tôt en train de dépérir artistiquement, de se recentrer sur ses principes fondamentaux. La patte Ashman couplée à celle de Menken ont été décisives dans la manière d’aborder les films Disney de la décennie 1990 et au-delà…

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Howard, documentaire disponible sur la plateforme Disney+ depuis le 7 août 2020, fut d’abord présenté en avant-première au Tribeca Film Festival le 22 avril 2018 avant de bénéficier d’une sortie en salles limitée dans les réseaux d’art et essai aux États-Unis le 18 décembre 2018. Le film revient de manière très simple et poétique sur l’existence et la carrière d’Ashman, mais son travail et son impact à Disney ne sont, on le voit dans le documentaire, qu’une petite fraction de son histoire. Certes, ses contributions à la firme aux grandes oreilles restent sans aucun doute les plus emblématiques quand on aborde de prime abord le personnage, mais ce film ne fait pas l’impasse sur l’avant-Disney, de manière à rendre véritablement hommage de manière exhaustive à ce grand artiste, qui nous a malheureusement quitté trop tôt à l’âge de 40 ans.

Don Hahn retrace la vie de Howard Ashman

C’est le scénariste et producteur émérite Don Hahn, qui réalise ce film retraçant les quatre décennies de la vie du parolier, depuis son enfance passée à Baltimore puis sa jeunesse à l’université et les différentes étapes de sa carrière d’abord au théâtre puis dans le musical et enfin au cinéma. Tous les témoignages précieux et parfois très émouvants sont des ponts qui nous permettent de mieux comprendre comment cet homme, qui a toujours montré une combativité face à l’adversité quelle que soit la forme que prenait cette dernière, est arrivé jusqu’à la compagnie Disney. Jusqu’au bout (et même sur son lit d’hôpital), Howard Ashman travaillera sur ses projets qui lui permettaient de se raccrocher en partie à la vie. C’est un portrait doux-amer de celui qui a donné une voix à une sirène et une âme à une Bête qui nous est narré et l’équilibre entre l’ère disneyenne et tout le reste de sa carrière est parfait. Bien que ce regard soit éminemment touchant sur la vie entière d’Ashman, l’héritage de l’œuvre d’Ashman sur le long terme sur le studio et le public est plus en retenue. Cela fait peut-être sans doute écho à la personnalité même de l’artiste, assez humble, en dehors de son travail, et qui manquait souvent d’assurance dans la finalisation de ses projets.

Il n’est clairement pas anodin de retrouver à la barre de ce documentaire Don Hahn. Lui qui a tant collaboré avec les Studios Disney depuis les années 1980, est aujourd’hui passé à une autre étape de sa carrière, prenant le plus souvent la casquette de documentaliste que de scénariste ou producteur de films scénarisés. Il fait ses premiers pas chez Mickey en tant qu’assistant réalisateur sur Rox et Rouky (1981), épaulé par le légendaire Wolfgang Reitherman. Après une collaboration avec Don Bluth sur Peter et Elliott le Dragon (1977), il devient directeur de production des films Taram et la Chaudron Magique (1985) et Basil, Détective Privé (1986), avant de devenir producteur associé pour Qui Veut la Peau de Roger Rabbit ? (1988). Entre temps, il participera en tant qu’assistant de production à la création du moyen-métrage Le Noël de Mickey (1983). Il prend véritablement ses marques en tant que producteur attitré sur le court-métrage dérivé du film Qui Veut la Peau de Roger Rabbit ?, Bobo Bidon (1989). Il est choisi pour produire La Belle et la Bête en 1991, la consécration de sa carrière, premier film d’animation nommé aux Oscars dans la catégorie Meilleur Film. La route du succès se poursuit en 1994 avec Le Roi Lion qu’il produit également, puis Le Bossu de Notre-Dame (1996) et Kuzco, L’Empereur Mégalo (2000). Il dirige au début des années 2000 Steve Martin, James Earl Jones, Quincy Jones, Itzhak Perlman et Angela Lansbury dans certaines séquences de Fantasia 2000. En 2001 sort Atlantide, L’Empire Perdu, qu’il produit également. Il fait ensuite équipe avec le réalisateur Rob Minkoff, pour adapter au cinéma l’attraction Haunted Mansion avec Le Manoir Hanté et les 999 Fantômes (2003), son premier film en prises de vue réelles. Il produit par la suite pour Disney les court-métrages Lorenzo (2004), Un par Un (2004) et La Petite Fille aux Allumettes (2006). Ce dernier lui vaut une nouvelle nomination aux Oscars. Il fait ensuite un détour par le label naissant Disneynature. Il est producteur exécutif de Un Jour sur Terre (2007) puis de Océans (2009),  Félins (2011) et Chimpanzés (2012). Parallèlement, il croise de nouveau Tim Burton, qu’il avait côtoyé au début de leurs carrières respective aux studios de Walt, avec qui il travaille sur une réadaptation en 2012 du court-métrage Frankenweenie du cinéaste gothique. Il permet également à la franchise Maléfique de conquérir son public en 2014, film sur lequel il est crédité en tant que producteur exécutif. Il est ensuite impliqué dans le remake en prises de vue réelles de La Belle et la Bête en 2017 en qualité de producteur exécutif à nouveau. Outre des documentaires dé découverte indépendants (Hand Held, Christmas With Walt Disney pour le Walt Disney Family Museum) ou avec Disneynature, il signe pour Disney en 2009 en tant que réalisateur, producteur et narrateur le film Waking Sleeping Beauty, qui retrace de façon sincère l’histoire de la Renaissance des Studios d’Animation Walt Disney. En 2020, il collabore avec Disney D23 pour créer un documentaire sur le travail des archivistes de Disney à l’occasion des 50 ans des Walt Disney Archives. Il est aussi une plume très prolifique, puisqu’on lui doit plusieurs ouvrages et essais sur l’histoire du cinéma d’animation comme The Alchemy of Animation: Making an Animated Film in the Modern Age (2008).

Un documentaire sobre

Dans Howard, au lieu d’avoir une approche très classique, Don Hahn fait le choix judicieux de placer ici et là des interventions audios (réalisées pour le documentaire ou issues d’archives), des extraits de journaux ou d’émissions télévisées d’époque, et des séquences tournées durant la production des différents projets rattachés à Ashman. Tout n’en est que plus solennel et le ton très posé de l’ensemble nous permet de mieux nous concentrer sur ce qui est dit plutôt que sur ce qui est montré (photographies etc.). Parfois, cela fonctionne comme par exemple on écoute une archive audio enregistrée par Howard Ashman, qui nous explique pourquoi ses chansons dans la comédie musicale La Petite Boutique des Horreurs sont si efficaces, juxtaposée à des extraits du film produit en 1986 d’après le spectacle éponyme. À d’autres moments, lorsque les images sont très similaires entre elles, l’audio n’est pas forcément plus valorisé que cela, voire assourdit l’expérience au point de ne plus savoir qui parle car nous ne voyons jamais les visages des nombreux intervenants.

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En dépit de ces quelques longueurs, le documentaire brosse un tableau fascinant de la vie d’Ashman, qui a d’abord lutté pour se faire un nom à New York, travaillant sur des projets « Off-Off-Off » Broadway et se découvrant lentement un amour pour l’écriture lyrique. Chaque succès et échec est analysé par les commentateurs, qui sont soient des proches, soient ont croisé professionnellement l’artiste. Chaque étape de carrière est une partie importante du parcours du dramaturge puis parolier, qui nous permettent de mieux cerner sa philosophie créative qui se développe et s’affine sur les dernières années de sa vie. De rares entretiens télévisés d’Ashman sont l’occasion de découvrir ses pensées sur les comédies musicales et les films. Il en vient finalement à nous confier que l’animation au cinéma était à l’époque le dernier moyen pour créer de véritables comédies musicales à l’écran.

Alan Menken, Jodi Benson, Sarah Ashman ou encore Bill Lauch parlent de sa vie personnelle

Tous les témoins qui se passent la parole implicitement parlent de Ashman avec une tendresse, offrant des perspectives différentes sur des points clefs de sa carrière, grâce à des anecdotes toutes plus passionnantes les unes que les autres. Le documentaire est introduit par la sœur d’Howard Ashman qui revient sur les histoires que lui et son frère imaginaient quand ils étaient enfants, ce qui nous donne d’emblée un aperçu de l’univers artistique du personnage. Jodi Benson, qui a ensuite prêté sa voix à Ariel dans La Petite Sirène, raconte à quel point il était accessible lors de son audition pour l’une de ses comédies musicales, tandis que des amis d’adolescence se souviennent du théâtre universitaire. Tout cela tisse un portrait plus complet forcément plus complet de cette figure, dépassant le cadre de sa remarquable carrière.

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Sans détour, le film aborde les expériences sexuelles puis amoureuses de Howard puis sa confrontation violente au VIH. Celui- ci est un virus émergeant à peine découvert par les scientifiques dans les années 1980, avec lequel il est difficile de lutter médicalement, qui porte la marque de l’identité homosexuelle à cette époque, et que certains extrémistes conservateurs qualifieront de châtiment divin pour punir l’homosexualité… Le SIDA atteint d’abord plusieurs de ses proches puis lui-même, qui mentionne à plusieurs reprises que selon lui, le diagnostic de la maladie menacerait sa carrière chez Disney (révélant publiquement son homosexualité alors qu’il travaille pour des films pour les enfants – il faut se replacer dans le contexte  sociétal de l’époque et la crainte omniprésente de la communauté homosexuelle discriminée). C’est pour cette raison que Ashman a initialement refusé de se faire tester par peur qu’on lui supprime son assurance. Même si le documentaire ne fait qu’effleurer la surface de l’homophobie profondément enracinée au cœur de l’épidémie de SIDA, cela suffit à nous contextualiser ces années 1980 si libertaires et pourtant si éprouvantes. Si certains des anciens collaborateurs et aujourd’hui analystes de Howard Ashman ont souvent usé de théories sur la possible métaphore du SIDA au centre de La Belle et la Bête et notamment dans la séquence « Tuons la Bête », le documentaire reste plutôt pragmatique sur le sujet et ne penche pas forcément vers ce camp. Là encore, Ashman n’a jamais beaucoup parlé de sa vie personnelle ou de ses combats, et comme le mentionne sa sœur Sarah Gillespie, il n’a jamais imprégné (du moins revendiqué) ses expériences du monde dans son travail, même si il sera difficile de ne pas nier certains parallèles comme avec une chanson qui avait été écrite par Ashman pour Jafar dans Aladdin. Dans « Humiliate the Boy », le vizir perfide prenait sa revanche sur Aladdin en le dépossédant de tout ce qui faisait de lui un Prince, face aux gens, comme la maladie qui prendrait toute la vitalité d’un être humain avec cruauté.

Le symbole de la Renaissance des studios Disney

Un autre point fait malgré tout défaut. Le documentaire aurait pu revenir en quelques minutes sur l’héritage artistique de l’œuvre d’Ashman et l’élan qu’il a lancé pour que d’autres paroliers derrière lui suivent sa trace (sans jamais l’égaler malgré tout). La Renaissance de Disney n’aurait pas été possible sans le succès retentissant de La Petite Sirène, et ce film de Ron Clements et John Musker ne serait pas aussi abouti sans sa musique. Ashman s’est battu pour garder « Partir Là-Bas » (« Part of Your World ») dans le montage final, là où le directeur du studio de l’époque, Jeffrey Katzenberg voulait que la chanson soit supprimée car  ralentissait le film selon lui. Le succès du trio La Petite SirèneAladdinLa Belle et la Bête a ouvert la voie à une ère musicale exceptionnelle chez Disney. Don Hahn analyse en profondeur le travail acharné et précis fourni par Ashman durant ces quelques années, en se concentrant sur ses choix artistiques, sa manière de collaborer avec Menken, sa façon de développer des personnages et de faire avancer des intrigues à travers les chansons et au-delà. Mais l’impact durable qu’Ashman aura eu sur le studio reste nébuleux, une inférence que le public est censé reconstituer. Peut-être que ce développement supplémentaire serait plus légitime dans Waking Sleeping Beauty mais quand Howard Ashman a aperçu le char de La Petite Sirène à Walt Disney World Resort dans le cadre de la présentation du film à la presse, les larmes lui vinrent et il confia que cet univers lui survivra. Et c’est le cas. Nous aurions aimé approfondir cela tout comme nous aurions apprécié que Don Hahn mentionne la première vraie collaboration de Ashman avec Disney, qui fut Oliver & Compagnie, film sur lequel il écrivit les paroles de « Il était une fois à New York City ».

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Malgré cela, on comprendra parfaitement le parti-pris d’avoir voulu trouver l’équilibre entre le récit de la vie d’un homme et l’illustration de ses joies et combats dans une Amérique où l’homosexualité est rejetée et le SIDA émerge, et sa prodigieuse carrière avant et pendant Disney. Sacré Disney Legend à titre posthume en 2001, Howard Ashman a marqué à tout jamais son époque et a été l’un des piliers qui a permis à Disney de se relever au cinéma. Le documentaire retranscrit tout cela à la perfection et montre qui était Ashman en dehors de son travail : un homme plein de fougue, d’ambition, de douceur, d’exigence et d’imagination, et qui aura quitté ce monde beaucoup trop tôt.

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