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Artemis Fowl – Critique du Film Disney

Descendant d’une longue lignée de criminels, le jeune et richissime Artemis Fowl – 12 ans et déjà doté d’une intelligence hors du commun – s’apprête à livrer un éprouvant combat contre le Peuple des Fées, des créatures puissantes et mystérieuses qui vivent dans un monde souterrain et qui pourraient bien être à l’origine de la disparition de son père 2 ans plus tôt. Pour mener sa lutte à bien, il devra faire appel à toute sa force et à son ingéniosité diabolique, quitte à prendre en otage le capitaine Holly Short – une elfe réputée pour sa bravoure – et l’échanger contre une rançon en or. Pour le nain gaffeur et kleptomane Mulch Diggums – qui va tout tenter pour venir en aide à Holly – et la commandante Root, chef du F.A.R.F.A.DET (Forces Armées de Régulation et Fées Aériennes de DETection, le département de reconnaissance de la police des fées), la partie s’annonce plus que serrée…

Des livres au film, des années de développement

Artemis Fowl sort officiellement le 12 juin 2020 sur la plateforme de vidéo à la demande Disney+. Pensée au départ comme une future franchise cinématographique, elle était censée devenir ni plus ni moins que le Harry Potter de Mickey. Ce projet sonnait d’ailleurs un coup d’envoi d’un nouvel univers fantastique à destination principalement des préadolescents et adolescents, et qui aurait pu engendrer des suites, du merchandising conséquent et pourquoi pas une adaptation dans les parcs à thème Disney. Au lieu de cela, cette adaptation fantasmée arrive vingt ans plus tard avec une proposition hélas noyée par l’offre commerciale saturée dans le même genre mais aussi par une promotion illisible, un mode de narration brouillon et un visuel criard qui ne fait malheureusement pas honneur à la mythologie pourtant très riche des livres. Les fées, gobelins et trolls vivent parmi nous mais on a finalement du mal à s’en persuader…

artemis fowl

Il y a déjà eu chez Disney des tentatives du genre. Toutes ont échoué n’ayant pas suffisamment de moyens au service de leur ambition, alors inutile de revenir sur Le Monde de Narnia, dont le potentiel fut gâché dans les années 2000 au cinéma, ni sur L’Apprenti Sorcier (2010), Un Raccourci dans le Temps ou encore Casse-Noisette et les Quatre Royaumes (2018). Tous ces projets se sont soldés par des échecs successifs. D’autres majors ont également essayé de rivaliser avec le petit sorcier de la Warner mais sans succès. Les équipes derrière Artemis Fowl auraient pu et dû tirer des leçons de À la Croisée des Mondes : La Boussole d’Or de New Line Cinema (2007), Le Dernier Maître de l’Air de Paramount Pictures (2010) ou encore La Stratégie Ender de Summit Entertainment (2013)…

Artemis Fowl n’est plus le criminel que l’on connaît…

Dès l’année 2000, Artemis Fowl figure déjà parmi les projets des studios de cinéma. Miramax Films, alors label à part entière de Disney, souhaite adapter les aventures du petit génie du crime. Mais c’est finalement en 2018 que le projet voit le jour de façon concrète. La réalisation de cette adaptation, suivie de près par l’auteur des romans Eoin Colfer, est confiée à un cinéaste habitué de la maison de Mickey. Le britannique Kenneth Branagh a déjà signé un remake de Cendrillon en 2015. Son style si classique et shakespearien se retrouve également dans Thor en 2011 ou Le Crime de l’Orient Express en 2017. Retardé plusieurs fois avant d’être sacrifié sur le service de streaming Disney+ (par un studio dont seules les plus grandes franchises semblent l’intéresser) à cause de la crise du coronavirus mais aussi des risques commerciaux évidents du projet, Artemis Fowl ne jouit pas d’une mise en avant digne de ce nom, pour une franchise se voulant originale et novatrice.

artemis fowl

Que penser du film à première vue ? Les personnes impliquées dans son développement n’ont, semble-t-il, pas jugé bon de se concentrer sur l’essence psychologique du protagoniste principal, transformant le tempérament de scélérat préadolescent de cet antihéros revendiqué en un gamin faussement génial avec ce qu’il faut de suffisance et d’insolence pour ne pas trop froisser son public – dont une majorité ne connait pas le personnage en tant que tel. C’est probablement le premier hic du film, cette forme de trahison du matériau littéraire de base… Alors, l’ascendance irlandaise de Artemis est certes respectée, son style très chic aussi mais la mauvaise direction artistique prise ne rend clairement pas suffisament hommage au personnage des livres, bien que la fin du film rattrape un peu le coup, avec un Ferdia Shaw (le jeune comédien qui signe sa première incursion au cinéma ici) un peu plus libre dans son jeu.

… mais le film l’est en revanche !

Alors si le fameux « cerveau criminel de 12 ans » est quasiment mis de côté dans cette adaptation au profit d’un héros légèrement agaçant, beaucoup moins charismatique et rempli de bonté édulcorée, que reste-t-il des livres ? Pas grand chose si ce n’est un beau travail au niveau de la construction visuelle (partiellement) sur lequel nous revenons plus tard dans cette analyse. Le film sent bon la main mise des exécutifs du studio sur le scénario. Dès lors, la question se pose : pourquoi Disney fait-il du Disney là où attend un label qui soit force de proposition et sorte un peu de ses retranchements ? En enlevant toute l’impertinence du héros pour sauver la morale familiale si chère à Mickey, c’est tout le potentiel du film qui est gâché. Alors il reste cette part de féérie et de magie indéniable et assez bien retranscrite, mais sans les zones d’ombre qui entourent l’histoire et avec ce politiquement correct trop polissé, l’adaptation n’en ressort par grandie.

artemis fowl

Dans la majeure partie du film, l’Artemis que nous rencontrons ne brille pas par sa personnalité, voire même se réfugie dans une forme de stoïcisme gênant, majoré par des expressions faciales qui auraient demandé un peu de nuance et un regard bleuté perdant tout naturel. Son costume en noir et blanc et ses lunettes de soleil réfléchissantes sauvent l’honneur. Mais cette version enfantine des Men in Black, protégeant le monde humain des fées malfaisantes*, ne convainc guère. Dans le livre, Artemis est attiré par l’or, mais ici, on ignore quelles sont ses véritables motivations.

* un point sur lequel les scénaristes Michael Goldenberg, Adam Kline et Conor McPherson auraient dû revenir pour apporter encore une fois un peu de nuance au sein de l’organisation F.A.R.F.A.DET – Forces Armées de Régulation et Fées Aériennes de DETection – dont certains membres ne sont pas pacifistes.

Un univers bâclé, un scénario trop désordonné

Durant 93 minutes, le film survole à la fois ses thématiques et ses personnages. Le parti pris est d’offrir au nain Mulch Diggums (un rôle sur mesure pour Josh Gad, qui nous offre une sorte de Hagrid trash) le rôle d’un narrateur passif mais pas seulement… Dévoreur glouton de terre, Mulch se retrouve propulsé au cœur du plan d’Artemis qui a pour but (du moins, on essaye de le comprendre) de retrouver l’Aculos – le MacGuffin du récit dont la symbolique naturelle (le gland) et surnaturelle (sa magie) aurait dû être davantage développée en lien avec la mythologie des fées. Artemis veut de la sorte sauver son père (également nommé Artemis, joué par un décidément attachant Colin Farrell dans le rôle d’un père aimant) du méchant dont le visage reste caché durant tout le récit. Finalement, à en devenir limite un Keyser Söze grossier, Mulch finit presque par voler la vedette à Artemis durant un moment…

judi dench

C’est d’ailleurs durant les interventions de ce nain que les quelques révélations s’enchaînent. Ainsi, le passé houleux du père de Artemis est traité (toujours trop en surface…). Son fils apprend alors que son paternel pourrait être responsable de certains crimes – des casses – hautement condamnables. Mais ce n’est pas la seule révélation pour Artemis, qui découvre également que les contes de fées que son père lui a racontés quand il était enfant, mais dont il était persuadé qu’ils étaient faux, sont vrais finalement. Toutes ces informations sont amenées de façon tellement brute sans laisser le temps au spectateur de vraiment se laisser porter par les mystères qui les entouraient que rien ne sonne juste au final…

Un public manipulé ?

Le montage maladroit du film y joue pour beaucoup. Artemis Fowl déverse un certain nombre d’informations au spectateur, résolvant des questions auxquelles il ne croit pas réellement, et seulement pour les déformer dans la scène suivante – comme lorsque le majordome et garde du corps Domovoi Butler (campé par Nonso Anozie) est présenté comme le dur à cuire du cercle restreint du héros, pour finalement tomber dans un archétype on ne peut plus cliché… Cette manipulation fantoche du public prend des airs de mauvais téléfilm jeunesse. Les préadolecents ont aussi droit à un minimum de respect de la part des scénaristes. Ce jeu de manipulation grossière des spectateurs ne prend pas !

artemis fowl

Toujours dans la même idée, les géniales inventions du peuple des fées manquent d’explication. Le film nous laisse à voir un rôle tout aussi attrayant que celui d’Artemis, Holly Short (Lara McDonnell), agent pour F.A.R.F.A.DET, qui utilise une arme capable de mettre sur pause le temps ; elle l’utilise avec brio pour capturer un troll géant lors d’une attaque… jusqu’à ce que cette même arme se révèle inefficace contre le manoir Fowl. Si cette machine à stopper le temps ne fonctionne pas sur Artemis, pourquoi l’armée des fées (emmenée par une Judi Dench rigide mais pleine de prestance) s’évertue à préserver son efficacité durant tout le siège d’assaut ? Beaucoup de trous narratifs non comblés nous laissent totalement dans le flou le plus total. Finalement, les fées se décident enfin à agir autrement et probablement trop facilement…

Kenneth Branagh si peu inspiré par Artemis Fowl

C’est finalement après un dénouement assez chaotique que dans la poussière, Kenneth Branagh nous offre le plan se voulant le plus important (et totalement gratuit) où l’aura du héros est censée culminer et émouvoir le public. Raté ! Si peu d’enjeux – et mal amenés – ne permettent pas en effet à cette scène d’obtenir tout l’effet prévisible. Ce gâchis scénaristique vaut également pour certains décors. Si le manoir Fowl est plutôt de belle facture dans sa réalisation, le monde souterrain des fées nous aveuglant d’images de synthèse est clairement un budget jeté par la fenêtre. Les vues d’ensemble, faites de caméras plongeantes vues et revues et de pseudo-envols musicaux imaginés par un Patrick Doyle peu inspiré, n’apportent aucun regard intéressant sur l’aspect merveilleux du film. Toute cette contemplation manque de profondeur et de détails…

ferdia shaw

Comment les scénaristes Michael Goldenberg, Adam Kline et Conor McPherson et le réalisateur Kenneth Branagh – dont les projets n’ont plus aucun panache depuis quelques années – ont-t-il pu perdre de vue l’objectif artistique et commercial prioritaire du film ? Se concentrer sur le personnage principal de l’histoire et le rendre attachant auprès du public. Artemis Fowl n’est pas un film sur Artemis Fowl mais sur son univers qui n’est lui même pas assez approfondi. En dépit de cela, et assez paradoxalement, la fin du film (qui est à nos yeux finalement le début de l’histoire), apporte un vent de fraîcheur, comme si, cette production n’avait pour but que d’imposer un récit amené à vraiment prendre son essor dans de prochaines aventures. Il est malgré tout dommage de faire le triste constat que cette introduction (du moins, elle est pensée comme telle) ne nous permet pas d’apprendre à connaître ses personnages (gentils comme méchants) ni les enjeux futurs de la saga. Pire, survoler une mythologie au potentiel immense n’est qu’un signe de bâclage. Cet univers avait du potentiel pour une adaptation de cette ampleur, mais il a été gâché ; s’il vient à convaincre malgré tout les consommateurs de Disney+ et connaître un second opus, il serait tout à faire envisageable que ce presque naufrage du premier film soit rattrapable avec les bonnes personnes aux bons postes créatifs.

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