Disneyphile

Des Arbres et des Fleurs – Critique du cartoon Silly Symphonies

Des Arbres et des Fleurs (Flowers and Trees en version originale) est le vingt-neuvième cartoon de la série des Silly Symphonies. Il est surtout le premier en couleur et dure 7:49 minutes. Walt Disney accorde la réalisation à Burt Gillett et le court métrage est distribué par United Artists le 30 juillet 1932. Des Arbres et des Fleurs propose une scène matinale dans laquelle les éléments de la nature s’éveillent sous la rosée du matin en s’adonnant à leur petite routine de bon matin. Les deux personnages principaux, deux arbres anthropomorphes entament une parade amoureuse tandis qu’une vilaine souche jalouse tente de semer le chaos dans cet univers chimérique. Le cartoon emprunt de poésie est soutenu par une bande sonore percutante, reprenant d’emblématiques morceaux classiques comme L’ouverture de Guillaume Tell de Gioachino Rossini ou « La Marche Nuptiale » d’un Songe d’une Nuit d’été de Félix Menselssohn.

Genèse du cartoon Des Arbres et des Fleurs

Ce vingt-neuvième épisode des Silly Symphonies fait date autant dans l’histoire des studios Disney que dans celle du septième art. Cela est dû à sa grande innovation : le court métrage est entièrement colorisé.

des arbres et des fleurs

Il faut pourtant d’abord revenir sur la création du cartoon qui se construit à la suite de grands bouleversements au sein des studios. Le 21 janvier 1930, deux grands noms des studios, et deux personnages qui portaient avec force le concept des Silly Symphonies claquent la porte. L’animateur Ub Iwerks, d’une nature timide, n’arrivait plus à s’imposer face au caractère impétueux du père des studios. Il est démarché par le distributeur Pat Powers pour produire une nouvelle série de dessin animés, et ce à l’insu de Walt. Le distributeur pensait là faire un coup de maître : il proposa à Roy Disney de déchirer son contrat avec Iwerks si lui et son frère acceptaient de renouveler le contrat de distribution selon les nouvelles conditions. Les frères refusent le renouvellement et Ub Iwerks quitte l’entreprise Disney. Il est suivi de peu par le compositeur Carl Stalling qui ne croit pas en la capacité de Walt à se relever et réussir après le départ de l’animateur émérite. Les studios perdent ainsi deux éléments forts de leur équipe en même temps qu’ils refusent le renouvellement avec Pat Powers. Walt vit très mal cette période et la trahison de son ami Ub Iwerks qu’il estimait beaucoup. Sa détermination à ne pas laisser les studios couler lui permet malgré tout de rebondir et de signer un contrat avec la société Columbia Pictures qui devient son distributeur exclusif jusqu’en 1932 avant d’être remplacé par United Artists jusqu’en 1937. Ces départs et changements de distribution ont au moins eu l’avantage de lancer un coup de fraîcheur sur les studios qui s’entourent de nouvelles personnalités. Les animateurs Les Clark, Ben Sharpsteen et Wilfred Jackson déjà présents dans l’équipe et le compositeur Bert Lewis gagnent en importance et de nouveaux animateurs les entourent comme David Hand ainsi que de nouvelles figures musicales telles que Franck Churchill. Une réelle cohésion se met en place et il est évident que les productions qui suivirent cette réviviscence des studios bénéficièrent de cette nouvelle aura créative.

Ces rebondissements se ressentent tout particulièrement sur les Silly Symphonies produites au début des années 1930. Ces dernières s’étoffent et gagnent en poésie. Elles ne sont plus seulement la démonstration d’un savoir faire, quand bien même cela reste l’aspect principal de la collection, mais elles offrent aussi une histoire à part entière et mieux pensée et commencent à adapter des contes et fables célèbres. C’est dans ce contexte que démarre la réalisation du court métrage Des Arbres et des Fleurs. Walt Disney confie la réalisation à Burton Gillet, au service des studios depuis 1929 et habitué à travailler sur les cartoons de la série Mickey Mouse. Ce dernier s’entoure principalement pour cette réalisation des animateurs Les Clark, Norman Ferguson, Jack King, Tom Palmer, et Dick Lundy. La création commence dans une velléité de produire un nouveau court métrage en noir et blanc, dans la tradition des Silly Symphonies jusqu’alors. L’acquisition par Walt Disney du procédé Technicolor change la donne et alors même que la réalisation est déjà à moitié terminée, le père des studios exige que tout soit recommencé pour en faire le premier court métrage en couleur. En bon visionnaire, l’investissement de Walt confère à la Silly Symphonies son succès. Le court métrage paraît à Los Angeles du 15 au 29 juillet 1932 en première de Strange Interlude du réalisateur Robert Z. Leonard au Grauman’s Chinese Theatre. Les critiques sont unanimes, les spectateurs fascinés par ce nouveau procédé. La couleur n’existe encore pas dans le film en prises de vue réelles, et dans l’animation il s’agit du premier court métrage le proposant. Les studios frappent en coup de maître et sont récompensés la même année par leur premier Oscar, celui du meilleur court métrage d’animation.

L’innovation du Technicolor

Des Arbres et des Fleurs doit la majeure partie de son succès à l’innovation technique qu’il propose, celui de la couleur. Le procédé est créé en 1916 par la Technicolor Motion Picture Corporation fondée en 1914, et  par ses fondateurs Herbert Kalmus, Daniel F. Comstock et W. B. Westcott. L’entreprise propose dans un premier temps une technique bichrome, les résultats de celle-ci s’avèrent toutefois assez décevants et particulièrement fastidieux à mettre en place. Walt et son ambition du progrès technique boude ce procédé qui ne l’intéresse pas alors qu’en parallèle, des techniciens de ses propres studios travaillent eux aussi sur les possibilités de mise en couleur, avec des résultats se soldant toujours par des échecs. En 1928, l’un des fondateurs de l’entreprise Technicolor, Herbert Kalmus met au point une nouvelle méthode cette fois-ci Trichrome. Elle se compose de trois négatifs noir et blanc sensibles l’un au rouge, l’autre au vert et le dernier au bleu. Lors du tirage, les images se superposent pour permettre la mise en couleur. Kalmus propose son invention à Walt Disney en 1932 et ce dernier, bien que partageant les craintes générales, se laisse convaincre. Le procédé étant particulièrement onéreux, il lui faut aussi corroborer la qualité et la rentabilité du Technicolor auprès de son frère qui voit cette dépense d’un très mauvais œil. Il entend pourtant raison lorsque Walt argue que cette innovation permettra au Silly Symphonies de s’imposer aux côtés de la série des Mickey Mouse. Le film de prises de vue réelles devant attendre encore 1935 pour acquérir lui aussi la couleur, les studios Disney et leur animation s’avèrent être des pionniers en la matière. Cette décision du père de la souris prouve encore une fois combien ce dernier était toujours à l’affût des grandes innovations, des nouveaux procédés techniques qui pouvaient hisser son art à un niveau toujours plus précurseur et d’une qualité toujours supérieure à celle de ses concurrents. Il négocie un contrat d’exclusivité de cinq ans avec les fondateurs du Technicolor mais ce dernier ne s’avèrera durer que deux ans face à l’explosion et le succès du procédé. Des Arbres et des Fleurs devient le premier court-métrage à bénéficier de l’innovation et Walt met un point d’honneur à ce que cette nouvelle opportunité soit saisie à pleine main et que ses studios développe la couleur à son paroxysme.

Un court-métrage printanier soutenue par une douce gamme de pastels

Le cartoon s’ouvre sur le plan d’une forêt où trois arbres et une petite souche sont encore profondément endormis. Sur l’arbre au premier plan, un petit oiseau sort de son nid et de son chant pétillant réveille les habitants de la forêt. Les arbres se réveillent dans un grand bâillement en s’étirant, puis ce sont les fleurs qui ouvrent leurs pétales et étendent leur feuilles. Les champignons sortent de terre et déploient leur collerette avant que l’oiseau ne refasse quelques notes pour un premier arbre qui a du mal à se réveiller. Ce dernier, après un bâillement, ravive une jeune arbre à côté de lui ; enfin, l’oiseau et ses notes sont chassés par une vieille souche d’humeur matinale bien mauvaise, dont le bâillement est plus rauque que pour tous les membres de la forêt et de sa bouche sortent des chauves souris.

Cette introduction rythmée par des plans changeant à chaque présentation de personnages est l’occasion de montrer la capacité de synchronisation entre l’image et le son dont les Silly Symphonies sont si fières. Les bâillements sont en parfaite adéquation avec chaque arbre et chaque fleur, les petites onomatopée « plop » d’éclosion des champignons sont tout autant d’éléments qui font parfaitement correspondance entre son et image. Mais ces plans sont également l’occasion de présenter la palette de teintes pastels permise par le Technicolor. Les couleurs reflètent une nature idyllique avec de très beaux verts pour les feuilles et l’herbe, des touches plus claires pour les effets de lumières. L’arrière plan, certainement traité à part comme il était de coutume à cette époque, présente une gamme de couleur légère et atténuée comme un peu « floue » pour laisser les éléments de l’action principale se détacher à l’avant. Les couleurs sur ces derniers sont d’ailleurs un peu plus pop et se démarquent du paysage ambiant tout en s’harmonisant avec par la correspondance d’une palette de couleur pastel. Le traitement des arbres et des fleurs est également plus poussé que dans les précédentes Silly Symphonies, avec des yeux, une bouche et des membres. Les trois personnages principaux que sont les deux arbres semblables à un homme et une femme, et la vieille souche se distinguent par des éléments esthétiques autant que par leur animation. Les deux premiers sont traités tout en souplesse et avec élégance, leur feuillage leur sert de cheveux, leur branchage de membres tel que leur bras. Le caractère anthropomorphe est alors évident et utilisé pour individualiser la végétation. La souche est elle traitée dans un style plus archaïque, des branchages et un nez anguleux avec des teintes très froides. On a une réelle personnalisation de chaque élément vivant dans ce court métrage.

Une fois toute la végétation de la forêt réveillée, chacun s’adonne à sa routine matinale. Trois fleurs se lavent le visage dans l’eau d’une flaque, une coccinelle sort d’une fleur et prend une douche à la rosée d’une fleur. Puis tout un champ de fleurs jaunes, suivi des champignons, attaquent une séance de gymnastique au son d’une musique rythmée. La jeune arbre cueille un bouquet de pissenlits dont elle se sert pour se poudrer le visage et l’arbre mâle, émoustillé par ce spectacle, use de fleurs pendantes d’un arbre pour se créer une harpe et séduire en musique sa congénère. Celle-ci se met à danser en rythme tandis qu’un autre arbre s’improvise maestro et guide une chorale de rossignols. Des fleurs dansent autour de l’arbre femme avant de la rapprocher du harpiste. Ils entament une parade amoureuse, se séduisant. Mais la vilaine souche les regardait au loin, esquivant un baiser du séducteur, l’arbre femme s’éloigne doucement en se pavanant et approche du territoire de la souche. Ce territoire se distingue par la disparition au sol des fleurs et de verdure, remplacées par des arbres dépouillés et des squelettes d’animaux gisant sur une terre infertile. Lorsqu’elle s’en retourne vers son semblable, la souche la suit et l’attrape violemment. La musique change pour apporter une ambiance de tension tandis que le premier arbre vient au secours de sa bien aimée et se livre à un combat avec la souche. Ce moment est intense et fait correspondre une musique et des bruitages en parfaite corrélation et synchronisation avec l’action. La souche semble vaincue, allongée au sol, une fleur blanche vient constater sa mort pendant que retentissent les notes de la Marche Funèbre de Frédéric Chopin.

Ce n’était pourtant qu’un leurre et dans un énième élan de rage, la souche, frottant un morceau de bois, lance le feu sur la forêt. Des fleurs en forme de cloches sonnent l’incendie, un oiseau parcourt la forêt en criant le son d’une alarme. Les habitants de la forêt sont partagés entre se cacher et tenter de vaincre le feu. Des fleurs utilisent leur pétales pour puiser de l’eau dans les sources et la reconduire sur l’embrasement qui se personnifie aussi, pourchassant la végétation. Une mère sapin cache ses jeunes pousses sous son important branchage, les champignons retournent se cacher sous terre. Les deux amants du début essaient de se défendre tant bien que mal des flammes en tapant sur le feu qui se propage. Finalement, la malveillante souche se fait avoir par son propre piège et se retrouve attaquée par les flammes oranges qui en parallèle, attaquent jusqu’a la cime des arbres. Un escadron d’oiseau prend les choses en main et perforent les nuages dans le ciel pour laisser s’écouler la pluie salvatrice. Aucune flamme n’échappe aux gouttes, pas même celle qui essayait en vain de se cacher sous des feuilles. Le feu s’éteint et la végétation reprend ses droits. La souche gise sur un parterre d’herbe tandis que des vautours rodent au dessus d’elle comme au dessus d’un cadavre.

des arbres et des fleurs

Le reste de la nature sort de sa cachette et une petite chenille roule sur elle-même pour former une bague que l’arbre homme peut offrir à l’élue de son coeur. Des fleurs secouent des brins de muguets et ses petites cloches blanche pour faire retentir la « Marche Nuptiale » de Félix Mendelsson, accompagnées par l’abri maestro et les oiseaux. Toute la végétation se met à danser tandis que les deux arbres s’embrassent devant un merveilleux arc-en-ciel.

Une poésie évocatrice d’une splendide nature

Le court métrage Des Arbres et des Fleurs est une ode à la nature, au renouvellement de la végétation et au printemps. Le réveil de chaque élément de cette forêt semble en effet être une métaphore du réveil de la nature aux abords du mois d’avril et de la douce saison. Les animateurs semblent avoir gardé leur inspiration du court métrage qu’ils avaient sorti en 1929 : Printemps. Des fleurs très semblables s’adonnent là aussi à des mouvements de danse, de même qu’une chenille. Une pluie s’abat aussi sur la nature de ce premier cartoon et donne occasion à une vieille mais pas moins sympathique pousse d’arbre de se doucher. Les insectes jouent entre eux dans une mignonne farandole. Des grenouilles se laissent également aller à des pas de danse. L’inspiration semble évidente entre ces courts métrages dans la façon d’aborder le réveil de la nature et l’activité des habitants de la forêt. Toutefois, Des Arbres et des Fleurs dépasse largement son prédécesseur par son ajout d’une ligne scénaristique. Dans Printemps, on suit simplement de plan en plan les activités de la faune et la flore quand le cartoon de 1932 propose, il est vrai, de suivre la trame de deux arbres embêtés par la malveillance d’une souche.

des arbres et des fleurs

La poésie est également bien plus évidente dans le cartoon Des Arbres et des Fleurs où l’action repose sur une narration, sur la bienveillance des fleurs et des oiseaux, sur la parade nuptiale des arbres. Tout ne semble être que beauté, élégance et évasion alors que dans Printemps, l’enchainement repose plutôt sur des gags assez douteux mettant en scène des animaux et insectes pas toujours sous leur meilleur jour. Ces deux courts métrages sont également l’occasion de constater combien la couleur apporte à l’animation. Elle donne lieu à une représentation à la fois plus réaliste et ajoute par son choix de gamme, ici pastel, quelque chose de plus doux et réjouissant. La nature semble plus réelle, et les thématiques du songe, de la rêvasserie sont d’autant mieux amenées grâce à la palette douce des teintes proposées.

Un chef d’œuvre précurseur de l’animation en couleur

Les Silly Symphonies gagnent en élégance avec ce nouveau court métrage. Des Arbres et des Fleurs est le premier court métrage chez Disney à proposer la couleur et donnera au Silly Symphonies le privilège d’en garder l’exclusivité dans l’animation avant que la série des Mickey Mouse ne gagne aussi ce bénéfice en 1935 dans La Fanfare. Avec ce cartoon, les Silly Symphonies s’aventurent encore plus dans la représentation chimérique, dans le songe bucolique et la douceur oisive. Si quelques années plus tard, elles s’intéresseront tout bonnement aux contes de fées et aux fables, le ton est déjà donné ici. La poésie règne en reine dans ce court métrage et toute la technique de l’animation autant que la mise en couleur porte ce parti pris et cette direction. Les Silly Symphonies qui suivirent semblent toutes garder en tête les bases posées par Des Arbres et des Fleurs et s’en inspirer comme Bébés d’Eau en 1935 dont la représentation de la nature n’est pas sans rappeler la poésie du cartoon de 1932. Il semble en outre assez évident que l’étude de la nature nécessaire à la réalisation du court métrage et son animation tout autant que l’intégration de la couleur dans ce dernier, servirent aux études pour le long métrage Blanche Neige et les Sept Nains qui a vu le jour en 1937 et qui miroitait déjà dans la tête de Walt au début des années 1930.

des arbres et des fleurs

Des Arbres et des Fleurs est donc inconditionnellement une réalisation de poids dans l’histoire de l’animation autant que dans l’histoire des studios Disney, sa réalisation en couleur lui confère une innovation première qui porte avec elle un traitement nouveau de l’animation emprunt de douceur, de beauté et de charme. Son succès est tel qu’il est repris en 1937 dans le film d’animation Academy Award Review of Walt Disney Cartoons qui regroupe les courts métrages des Silly Symphonies primés aux Oscars. Des Arbres et des Fleurs tient l’affiche aux côtés des cartoons Les Trois Petits Cochons (1933), Le Lièvre et la Tortue (1934), Trois Petits Orphelins (1935) et Cousin de Campagne (1936). Sont rajoutés dans la réédition de 1966 Le Vieux Moulin (1937), Ferdinand le Taureau (1938), Le Vilain Petit Canard (1939) et Le Dragon Récalcitrant (1941).

© Disneyphile 2023 / Tous droits réservés / Reproduction interdite

Articles en lien

shopDisney entre dans ‘La Danse Macabre’

Florian Mihu

La Danse Macabre – Critique du cartoon Silly Symphonies

Clémence Seguin

Laisser un commentaire

* En utilisant ce formulaire, vous acceptez le stockage et la gestion de vos données par ce site.