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critique la danse macabre

La Danse Macabre – Critique du cartoon Silly Symphonies

La Danse Macabre, The Skeleton Dance en anglais, est le premier court métrage de la série des Silly Symphonies (1929-1939) réalisé par Walt Disney en 1929 et porté par le distributeur Columbia Pictures. Une histoire sans personnages identifiables, portée par un arrangement de « La marche des Trolls » de Grieg et un fox-trot en mineur. Elle met en scène une représentation nocturne durant laquelle s’éveille quatre squelettes qui, sous le regard intrigué des animaux de la nuit, s’adonnent à une joyeuse farandole tout aussi fascinante que sinistre.

Genèse de La Danse Macabre

La naissance du court-métrage est indissociable du contexte de la naissance de la série en elle-même. L’idée émerge au début des années 20 et est à mettre en correspondance avec le compositeur Carl W. Stalling qui travaillait en étroite collaboration avec les studios. Walt l’avait engagé pour la réalisation des bandes sonores des deux premiers films mettant en scène Mickey Mouse : Plane Crazy et The Gallopin Gaucho qui paraissent en 1928. Les archives nous montrent que les premières évocations du nouveau concept apparaissent dans les correspondances de Walt, son frère Roy et l’animateur Ub Iwerks. Le 20 septembre 1928, la première évocation cible une nouvelle musicale en animation. L’idée de la série apparaît donc, suivie quelques jours plus tard d’une seconde lettre qui évoque dès lors le sujet du premier court-métrage qui paraîtra sous ce concept. Il est question dans ce courrier d’animer une danse de squelettes qui prendrait place dans un cimetière. La ligne directrice de ce premier Silly Symphonies était trouvée. L’idée ayant fait son chemin, l’animateur Ub Iwerks se penche sur le travail en novembre 1928, sur ce court métrage évinçant de son intrigue la star Mickey Mouse qui fait son show au même moment au Colony Theatre de New York dans l’iconique Steamboat Willie. Le court-métrage ne naît pas sans quelques conflits au sein du studio, une querelle principalement causée par l’ambition de l’animateur en chef du projet qui veut mener et porter de but en blanc l’animation. Au terme de la discorde il obtient gain de cause, l’animateur émérite Les Clark réalise le début du court métrage tandis que Ub Iwerks obtient la charge de tout le reste. Bien que réalisée en six semaines, La Danse Macabre attend juin 1929 pour sortir à Los Angeles au Carthay Circle Theatre en première partie des Quatre Diables de Frierdich Wilhelm Murnau. Son succès est immédiat, le public transporté et les critiques enflammées. Ces réactions exaltent le père de Mickey Mouse et donne tord à son principal distributeur Pat Powers qui, soutenant les productions Mickey, avait refusé de porter le nouveau projet lui prévoyant un échec cuisant.

La Danse Macabre est une production originale. Portée sur écran en noir et blanc pour une durée de 5:12 minutes, son animation et son sujet détonne à l’époque. Le principe des squelettes animés n’est pas une nouveauté, mais il faut remettre dans le contexte de la fin des années 20, cela restait inhabituel. On peut nommer les Skeleton Dance Marionnettes de Thomas Edison en 1898 ainsi que le Palais des Milles et Une Nuit de Goerges Méliès en 1905 mais ce sont en 1929 les deux seuls exemples réellement connus. Il faut ainsi imaginer lors de la sortie du court métrage des spectateurs interloqués, entre fascination et effroi, devant ce qui se présente à eux.

Une innovation technique, la mise en valeur du son synchronisé

la danse macabre

La Danse Macabre s’ouvre sur un gros plan des yeux du hibou qui servira de fil conducteur durant tout le court métrage. Progressivement la caméra s’éloigne pour nous montrer un paysage nocturne centré sur le hibou se tenant sur sa branche et subissant le vent déchaîné qui fait bouger les feuilles de son arbre. Une branche étrangement en forme de main osseuse de squelette vient épouvanter l’animal à plume. Le rythme donné est déjà particulier, avec une répétition des actions en deux temps comme le passage de cette branche ou les réactions du hibou. L’animation joue également sur la distorsion comme en témoigne encore une fois le mouvement du bois ou le mouvement de tête de l’animal tournant sur elle-même. L’apparence de cette main faite de branchage tout autant que l’effet de répétition et la particularité de l’animation plonge tout de suite le spectateur dans une ambiance effrayante.

Après cette introduction le plan nous présente une église accolée à un cimetière, son horloge indique minuit et son clocher se met à retentir réveillant les chauves souris qui s’envolent dans tous le sens et notamment jusqu’au spectateur. Un chien aboie sur fond de pleine lune et nous sommes amenés à approcher de trois tombes sur lesquelles deux chats se font face. Le rythme de répétition est encore de mise tandis que ces deux derniers s’affrontent avant de se sauver effrayés par l’apparition du principal protagoniste : un squelette. Ce dernier s’éveille. Il sort de sa tombe et après un regard de chaque coté ainsi qu’un claquement de dent il se lève en direction du spectateur occasionnant un gros plan terrifiant sur son crâne et sa mâchoire. Au plan suivant le voici se baladant dans le cimetière. Ce moment est l’occasion d’apprécier encore plus la synchronisation du bruitage avec le mouvement du personnage. Sa balade nocturne n’est pas sans effrayer le hibou, toujours perché sur sa branche. Le squelette lui jette son crâne dessus avant de nous laisser voir apparaître quatre crânes de squelette sortant de derrière une tombe. Les voici tous éveillés.

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C’est à ce moment là que nous rentrons dans le vif du court métrage. Les quatre squelettes se tiennent côte à côte devant les tombes et entament leur danse macabre sur fond de la « Marche des trolls de la Suite lyrique, op. 54 » d’Edvard Grieg arrangée par Carl W. Stalling. Les quatre squelettes traversent trois plans du cimetière avec leur pas de danse fascinants entre inspiration de balai, mouvements désarticulés accentuant l’aspect terrifiant et sinistre de la scène et des moments de danse joyeuse et enfantine comme lors de leur ronde où la musique se fait elle aussi plus gaie. Leurs membres s’allongent pour les faire sembler à des marionnettes puis par paire de deux ils se déplacent en se servant du deuxième comme d’un bâton sauteur. L’ambiance et la musique change encore tandis que le duo de squelettes entreprend une nouvelle extravagance, le premier se sert du deuxième comme d’un xylophone. Puis un squelette seul sur le plan entreprend de venir et s’éloigner de la caméra offrant une scène terrifiante avec de nouveau de gros plan sur le crâne. Pour couronner cette séquence effrayante, le squelette se démembre et se remembre en fracas suivant le rythme de la musique, cette scène est d’une violence intense et particulièrement sinistre. Elle est suivie d’un enchaînement d’abnégations comme le squelette qui joue du violon sur la queue du chat ou qui danse en croisant ses genoux.

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La danse se termine par une dernière séquence de xylophone sur squelette où celui qui joue de l’instrument réduit le deuxième à un tas d’os. Le hurlement du coq vient enfin clore cette pagaille et dans un brouhaha de musique les squelettes se rentrant dedans les uns et les autres retournent se cacher dans une tombe jusqu’à rentrer les derniers pieds qui s’échappaient. Le soleil peut se lever, les voici tous rentrés.

Un parallèle contemporain avec Haunted Mansion de la série Mickey

Ce court métrage est particulièrement intense en ce qu’il partage le spectateur entre une fascination pour la synchronisation du son, des bruitages, de la musique et des personnages et en ce qu’il est effrayant par sa mise en scène et ses personnages sinistres. Le spectateur se retrouve comme le hibou, spectateur effrayé d’une scène dont il ne peut pas détacher le regard. Walt Disney frappe fort avec ce premier court métrage de cette nouvelle série. Loin de l’univers qu’il a jusqu’alors créé et laissé prospérer dans ses Alice Comedies (1923-1927) ou dans les épisodes de Mickey produit jusqu’au mois précédent. Il est en effet bon de noter que la célèbre souris, en aout de la même année, fait son apparition dans une ambiance bien similaire. On ne peut que noter l’inspiration et les reprises que fait Haunted Mansion de La Danse Macabre. L’ambiance entière entre horreur et absurde. Mickey se retrouve à visiter malgré lui une maison hantée par une drôle de famille de squelettes. Sur fond nocturne on retrouve des similitudes comme la distorsion de certains éléments, les gros plans sur les têtes des chauves souris qui foncent de leur battements d’ailes vers nous à la fermeture de la maison. Egalement le gros plan sur la tête du premier squelette. Comme dans La Danse Macabre nous faisons face dans un premier temps à une scène effrayante ou les personnages nous plongent dans l’horreur, et de même que la Silly Symphonies, la tension de l’ambiance est rompue par les squelettes qui se mettent à danser au son des notes de piano jouées par Mickey et dont les sonorités ne sont pas sans nous faire penser aux notes de La Danse Macabre. La séquence laisse quand même le spectateur dans une certaine peur, comme le hibou qui observait les squelettes avec crainte c’est cette fois Mickey, forcé de jouer de l’instrument à corde, qui illustre le spectateur emprunt de frayeur face aux personnages d’os. Enfin, des séquences sont entièrement reprises de la danse macabre comme certains passages de danse emblématiques des squelettes. L’animateur Ub Iwerks ayant travaillé sur les deux productions cela ne semble pas étonnant. Les reprises s’insèrent dans un nouvel univers bien que similaire, porté par Mickey auquel le spectateur s’identifie, ce qui lui permet d’entrer dans cette ambiance comme la souris entre dans la maison hantée.

Un chef d’oeuvre à l’origine des Silly Symphonies

L’importance de La Danse Macabre à la fois comme court métrage lanceur de la série des Silly Symphonies mais comme production originale pour l’époque n’est pas à négliger. Elle est devenue source d’inspiration pour ses studios comme pour d’autres. Elle est la preuve de l’inventivité, la capacité créative de Walt Disney et de son équipe d’animateur. La synchronisation entre les actions des personnages, les bruitages et la musique en fait une prouesse technique pour la fin des années 20. Son coté épouvante permet de prouver au monde la capacité de Walt Disney à réagir sur tous les univers, à être capable d’apporter quelque chose à toutes les thématiques et tous les genres, c’est également la preuve, qui n’en est pas des moindres, de prouver qu’il peut s’adresser à un public adulte. Si d’autres Silly Symphonies qui ont suivi sont toutes aussi mémorables par leur apport créatif et technique comme la mise en couleur Des Arbres et des Fleurs en 1932, La Danse Macabre aura eu le mérite de porter l’apport du son et le génie créatif à son plus haut niveau lors de sa sortie et d’entamer avec prestige cette nouvelle série de court métrage qui compte aujourd’hui tout autant de chefs d’oeuvres.

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