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En Avant – Critique du Film d’Animation Pixar

Le monde de New Mushroom était auparavant un lieu qui reposait sur la magie et son utilisation. Tout était connecté à celle-ci : elle servait à faire le bien et rendre la vie de chacun meilleure, jusqu’au jour où ses peuples firent la connaissance de l’évolution technique et scientifique, qui finit par rendre désuet les sorciers. C’est dans une société désormais totalement urbanisée et dépendante de la technologie que Ian et Barley Lightfoot, deux jeunes frères elfes, grandissent, avec leur mère Laurel. Le jour du 16ème anniversaire de Ian, leur mère leur remet un présent spécial provenant de leur père disparu. Ce cadeau les entraîne alors dans une quête extraordinaire pour tenter de ressusciter leur père le temps d’une journée et découvrir s’il reste un peu de magie dans leur monde.

Le premier Pixar de la décennie 2020

22ème long-métrage des studios de Luxo, En Avant marque un véritable tournant dans l’histoire du label. Après une décennie 2010 marquée par de multiples suites chez Pixar (conclue par Toy Story 4 en 2019) et quelques rares pépites comme COCO, le studio, désormais dirigé de main de maître par Pete Docter entame une nouvelle étape de son existence s’offrant davantage de libertés artistiques et moins de contraintes commerciales. L’année 2020 symbolise parfaitement cet état de fait avec la sortie de deux films originaux. En Avant, projet en gestation depuis 2014, est une manière pour Pixar de se reconnecter intelligemment et en douceur avec son public et de tester de nouvelles sensibilités. Le film joue ainsi sur plusieurs facettes de manière efficace, en abordant des thèmes à la portée de tous et un univers somme toute assez commun. L’idée n’est pas forcément de prendre trop de risques mais de viser juste, ce qu’il réussit avec brio.

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Il s’agit du deuxième métrage réalisé par Dan Scanlon, le « petit » storyboardeur de Pixar qui a franchi une étape décisive de sa carrière en 2013 en se voyant confier la réalisation de Monstres Academy. Mais depuis ce premier essai, le réalisateur a gagné en maturité. Sa perception d’une histoire est désormais plus profonde, fine et complexe que ne l’était celle de Monstres Academy, film au demeurant très léger dans son propos. Face à Soul quelques mois plus tard, En Avant a toujours eu du mal à s’imposer comme un Pixar du même niveau et ce, malgré une promotion bien calibrée de la part de Disney. Mais si l’on pouvait à s’attendre à un produit final en deça de nos attentes, ce n’est clairement pas le cas. On ne pourra pas dire que le film sort du lot et excelle en tout point, on ne pourra pas non plus le placer dans le haut du panier de cette nouvelle décennie mais le film offre une fraîcheur bienvenue, de par le fait tout simplement qu’il explore un univers pour le coup très original pour un studio comme Pixar, pas nécessairement habitué « à faire du Disney féérique ».

En Avant pour la magie et la fantaisie

Et l’on pourra le différencier justement de ce que produit habituellement le studio de Mickey en terme de fantaisie, en ce sens qu’il propose un « twist » (certes classique) du genre féerique. Le monde dans lequel vivent nos deux héros adolescents Ian et Barley Lightfoot, s’est laissé envahir par les nouvelles technologies et la science. La magie ancestrale qui trouvait son utilité dans le quotidien de chaque créature par le passé a laissé sa place à une forme de technologisation, dont le but est, comme dans notre propre réalité – un message sous-jacent du film qui critique la mondialisation totalisante, sans pour autant la condamner – de leur faciliter l’existence, au détriment de leur propre réalisation. La voiture remplace les jambes, l’électricité devient le seul outil capable d’apporter de la lumière, l’avion a remplacé les ailes des fées, le smartphone devient le prolongement de leurs actions. Mais cette démocratisation surabondante doublée d’une urbanisation perverse engendre plusieurs conséquences néfastes comme l’aseptisation de toute autre forme de dogme que celui de la science, le déni personnel de rêves inachevés (la parabole avec le personnage de Corey la Manticore est en cela très pertinent), la déconnexion à la nature (dans le film, la ville devient le seul environnement où s’épanouissent les créatures) ou l’identité patrimoniale menacée dont l’aîné Lightfoot, Barley entend bien se faire le défenseur.

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Le film va même un peu plus loin dans cette critique sous-jacente du capitalisme. Dan Scanlon pointent d’ailleurs du doigt directement l’Amérique en tant que telle : tous les décors rappellent sans mal une ville de Californie entourée de sa banlieue citadine. Les sorcières et les fées vivent et travaillent dans des conditions plus ou moins précaires. Les licornes errantes mangent dans des poubelles et se disputent les meilleurs déchets. Le présent s’éloigne encore et toujours plus d’un passé idyllique. Pour un film Pixar, d’une durée d’une heure et demie, nous étions en droit de nous attendre à un début de réponse sur cette problématique qui fait cruellement écho à notre propre monde. Mais En Avant délaisse ce sujet finalement pour mieux se concentrer sur la résolution du récit pur, celui de la quête dans laquelle nos héros sont plongés. Le film reprend les codes classiques de l’héroic fantasy en les détournant de manière habile. Et si le genre connait à nouveau un regain d’intérêt à la télévision (Games of Thrones, His Dark Materials : À la Croisée des Mondes, série Le Seigneur des Anneaux, Dark Crystal : le Temps de la Résistance, Descendants) autant qu’au cinéma (saga Maléfique, saga Les Animaux Fantastiques), il se mélange ici à un film d’aventure moderne, lui offrant une place à part dans le paysage cinématographique. Outre les créations originales de l’histoire comme le cristal de phénix, le vrai-faux livre de sortilèges, la fausse carte de la quête ou encore les corbeaux, les références à la pop-culture de la fantasy ne manquent pas au passage dans le film. Fans de la Terre du Milieu, vous serez servis. Avec la recrudescence également des jeux de rôles, appuyé par l’engouement autour de séries nostalgiques comme Stranger Things, le film pourra toucher à la fois plusieurs générations d’enfants.

Deux frères pas communs

Si Disney a sublimé la relation sororale avec Anna et Elsa dans La Reine des Neiges, Pixar en offre le pendant en exploitant pour la première fois et de la meilleure des façons l’affection fraternelle. La sincérité qui émane de ce duo tout au long de leur quête parle à tout un chacun, et en particulier à celles et ceux qui ont un ou plusieurs frère(s) dans leur famille. Ce sentiment d’authenticité puisé dans la vie personnelle du réalisateur se renforce avec le tempérament des deux personnages, qui n’a rien de banal. Ian arrive à l’âge de 16 ans et n’a jamais connu son père. Nerveux, timide et incertain dans tous les choix qu’il entreprend, il manque autant de confiance en lui qu’il ne doute sur ses capacités à se saisir de l’instant présent. Derrière ce personnage, on retrouve Tom Holland, qui apporte un peu de sensibilité à la Peter Parker il faut le dire. En version française, le personnage est doublé par Thomas Solivérès. En Avant se concentre d’ailleurs davantage sur ce frère en particulier en imprimant sur son parcours l’éternel processus de construction de soi, grâce notamment aux liens plus forts tissés avec son frère et l’appréhension de l’inconnu, symbolisé par exemple par la magie. Ian vous rappelelra peut-être par moments un certain Linguini dans ce côté gagesque et maladroit qu’il porte sur lui mais s’en détache de par bien des aspects aussi.

A côté de cela, Barley, son grand frère, est déjà beaucoup plus indépendant. Vivant de façon beaucoup plus libre et ne s’imposant aucune limite, il est l’antithèse même de son frère casanier. Lui rêve d’aventure, de réalisation de soi. Pas matérialiste pour un sou, il voue une véritable passion pour l’univers médiéval-fantastique, qui le réconforte et le fait s’évader. Si le style vestimentaire de son frère (presque introverti) fait dans le sobre, les codes esthétiques de Barley reflètent sa personnalité, se basant sur une sorte de punk californien, avec bracelet clouté, bandana, t-shirt… Pour couronner le tout, Barley possède son propre van, qu’il baptise Guinevere, un camion de livraison de marque Chevrolet G-10, qui roule sur deux pattes et a été totalement customisé : ce véhicule joue un rôle important dans l’histoire, s’inspirant directement des tournées des groupes de musique punk des années 1980 comme Minutemen.

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Outre ce van, Barley, doublé aux Etats-Unis par Chris Pratt et en France par Pio Marmaï, rapporte tout à la fantaisie et au surnaturel. Son jeu Quest dépasse le stade du simple hobby puisqu’il détermine sa façon d’être et ses actions. Cette frontière entre pure fiction et réalité de nos deux frères est un élément tangible tout au long de l’aventure qu’ils entreprennent, si bien que cette dichotomie finit par trouver sa finalité quand ils parviennent au bout de leur quête. Et c’est sans doute un des points notables qui justifie le visionnage de En Avant, sa capacité à se saisir d’un univers de pure magie pour mieux servir le parcours personnel de Ian et Barley. Autrement dit, la magie n’est pas utilisée, comme c’est souvent le cas dans d’autres histoires, pour accompagner leur rite initiatique mais en devient bel et bien le principe fondateur.

Le conte modernisé

Le film reprend donc le bon vieux schéma de Campbell en apportant une forme de modernité. Il est en effet possible pour nos deux frères de ramener à la vie leur père disparu, durant 24 heures seulement, mais aussi de redonner tout simplement ses lettres de noblesse à la magie. Leur quête devient alors à la fois personnelle et au service du bien commun. Et Pixar nous rappelle malgré tout que ces héros en herbe restent des adolescents qui se lancent dans une mission dont ils n’ont bien évidemment pas tous les tenants et les aboutissants en tête. Leur mère, Laurel, elle-même actrice de sa propre quête existentielle comme femme et mère à la fois, est incarnée par la talentueuse Julia Louis-Dreyfus ; c’est un personnage clef de l’histoire, et ô combien réussi. Elle apporte ce soutien et cette protection maternelle dont ont besoin nos héros même s’ils ne les réclament pas. La quête de l’exploit entraîne inéluctablement celle du danger, qu’ils ne mesurent pas, en tout cas pas Barley. Finalement, nos deux frères ne résolvent pas tout à fait la tâche qui leu a été confiée au départ, dans tous les cas pas de la façon qu’ils espéraient. La stratégie et l’intuition, meilleures ennemies, se doivent d’être au service de leurs actions ; nos héros font face à l’adversité et devront apprendre à accepter un résultat surprenant, pas celui qu’ils espéraient. Et c’est tant mieux, En Avant ne contente pas le spectateur en lui servant la soupe à la fin du film. Le parti pris, par exemple, d’achever cette quête à travers le personnage de Ian est très intéressante et nous permet de mieux nous identifier encore à ce personnage.

En Avant Guinevere !

En Avant constitue également un bon divertissement, sans véritable temps mort. Manquant probablement de poésie et allant directement à l’efficacité, il livre des scènes d’action d’une rare intensité. Bien-sûr, les chevauchées sur le bitume du van Guinevere sont remarquablement réalisées. Mais en léguant à son fils cadet un sceptre magique, le père de Ian permet au film d’offrir des scènes merveilleuses. L’utilisation de la magie n’est pas transcendante et vous n’en serez probablement pas surpris mais les scènes où Ian sont confrontés au pouvoir du merveilleux sont animées avec une vraie patte pixarienne. Les paysages naturels et les différentes créatures que sont les elfes, sprites, satyres, cyclopes, centaures, gnomes et autres trolls, rappellent combien l’inventivité des studios Pixar n’a pas été enterrée, après avoir livré plusieurs suites de franchises.

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Le film peut se targuer également d’être l’un des plus drôles qui soit dans le catalogue Pixar. Cette fois encore, c’est le comique de situation qui prime mais certains personnages périphériques, et pas indispensables à l’histoires, sont truculents et apportent ce qu’il faut en drôlerie. On pensera notamment aux scènes dans la taverne de la Manticore ou celles dans la station essence. A l’inverse, l’histoire cherche à offrir son brin d’émotion. Si une ou deux répliques échangés entre les deux frères dans la dernière partie du film pourront probablement vous heurter et faire écho peut-être à votre vécu, En Avant ne touche malheureusement pas du doigt le génie pixarien auquel on était en droit de s’attendre. Pas une scène ne fait tirer une larme véritablement même si l’on sent que le film joue plusieurs fois à torturer le spectateur avec des moments intenses dramatiquement. Mais ni la musique pourtant de facture correcte signée par Jeff Danna et Mychael Danna, ni les plans fixes ou l’interaction de nos personnages ne seront suffisants pour sortir les mouchoirs. Il ne manquait véritablement pas grand chose pour faire de ce film un petit bijou, mais qui restera mineur par rapport à ce que peut nous proposer le studio d’habitude. En Avant est sentimental plus qu’émouvant mais il n’est pas pour autant raté.

Un sentiment d’inachevé

C’est encore plus vrai avec deux autres thèmes phares du film, traités de façon classique et efficace (c’est le mot qui reviendra souvent) mais sans éclair de génie là encore. COCO avait saisi quelque-chose de magique. Mais le magique de En Avant à contrario enrobe peut-être un peu trop mièvrement l’essentiel, et ce malgré un scénario d’une excellente tenue et une exploration de sujets comme le deuil et la famille à saluer. Car peu de studios d’animation peuvent s’enorgueillir de développer des thèmes aussi majeurs avec cette part de vérité qui émane forcément des films.

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Finalement, En Avant est une belle fable, avec des personnages attachants, une animation splendide, qui reprend de façon audacieuse le genre de l’héroic fantasy et s’empare avec modernité du traditionnel conte initiatique. Il livre des messages simples mais essentiels sur la recherche de nos racines, la fraternité et le sentiment qu’il est important de se contenter de ce que l’on a, ce qui est déjà inestimable en soi. Loin d’offrir un chef-d’œuvre, Dan Scanlon poursuit le travail de Pixar sur l’exploration de thèmes qui sont chers au studio, comme la perte ou la construction identitaire, dans une aventure palpitante qui joue des codes de la fantaisie, sans être pour autant très fantaisiste. Allant droit au but, le film perd de sa valeur et aurait mérité un peu plus de soin sur ses scènes d’émotion pour en faire un vrai trésor. Mais dans l’industrie de l’animation du début des années 2020, En Avant démontre malgré tout à quel point Pixar reste l’un des leaders incontestés même s’il ne faudra pas que le label se repose sur ses lauriers dans les prochaines années, pour parvenir à faire ce qu’il fait de mieux auprès de son public, surprendre.

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