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Jojo Rabbit – Critique du Film Searchlight Pictures

Dans l’Allemagne de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Jojo est un petit garçon solitaire. Sa vision du monde est mise à l’épreuve quand il découvre que sa mère cache une jeune fille juive dans leur grenier. Avec la seule aide de son ami aussi grotesque qu’imaginaire, Adolf Hitler, Jojo surnommé Jojo Rabbit par des adolescents qui se moquent de son innocence, va devoir faire face à son nationalisme aveugle.

Mais qui veut la peau de Jojo Rabbit ?

« Ça n’est clairement pas le bon moment pour être nazi. » L’Histoire de la liberté d’expression nous aura démontré depuis la fin de l’Allemagne nazie que son instigateur, Adolf Hitler, tristement célèbre pour avoir répandu son idéologie de haine de certaines ethnies grâce à l’hégémonie de son parti national-socialiste ouvrier allemand et son désir de diriger l’Europe autant politiquement qu’économiquement, reste à ce jour l’un des personnages les plus détournés. Ce dictacteur aura fait l’objet de nombreuses caricatures sur différents médias pendant et après son apogée. Les dessins du britannique David Low, Le Dictateur de Charlie Chaplin et même Donald Duck, pour le compte du gouvernement américain et des Alliés, qui aura été missionné pour s’en moquer dans le cartoon de propagande anti-nazie Der Fuhrer’s Face en 1943 : la caricature du nazisme aura été prolifique dès les années 1930-40.

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Et bien que ces derniers temps, il devient difficile pour certains cinéastes de délivrer des messages à travers des films dits de controverse, sans qu’ils soient directement la cible des médias pour apologie de certains éléments idéologiques, d’autres comme Taika Waititi (Thor : Ragnarok, Thor : Love and Thunder, Vampires en Toute Intimité) réussissent encore à braver le carcan médiatico-artistique de Hollywood pour imposer leur vision des choses et c’est tant mieux. En trouvant le ton juste, assez proche d’un Wes Anderson, le cinéaste néo-zélandais sert au mieux la cause de la satire en tirant les ficelles de l’absurdité à leur paroxysme dans Jojo Rabbit et en mélangeant savamment plusieurs genres pour un résultat étonnamment réussi. Le film jouit également d’un casting de premier plan de choix.

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La satire politique et poétique

Jojo Rabbit revient donc sur le parcours de jeunesse d’un petit garçon allemand de dix ans (joué par l’impressionant Roman Griffin Davis qui est une vraie belle découverte) nommé Jojo, qui a été enrôlé plus ou moins naturellement dans un camp des jeunesses hitlériennes au moment de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Présenté comme un véritable petit soldat aveuglé par la cause patriotique de Hitler, et endoctriné de manière perverse par les principes xénophobes et suprématistes du nazisme, Jojo entretient un rapport passionné et passionnel avec cette idéologie, symbolisée par son ami imaginaire dont l’apparence n’est évidemment pas sans rappeler le dirigeant du troisième Reich allemand lui-même, campé brillamment par le réalisateur en personne, Taika Waititi, avec une once de septième degré bien amenée à chacune de ses apparitions, où il guide intérieurement le petit garçon à travers les périls et les défis qu’il rencontre, à la fois pour grandir et s’adapter au tumulte de l’époque.

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Mais voilà, trop pacifiste dans l’âme pour tuer un animal sans défense lors d’un exercice d’entraînement improvisé au camp d’entraînement, notre petit héros en herbe gagne très rapidement le surnom de « Jojo Rabbit » et devient une cible de taquineries de la part des adolescents. Mais c’est lors d’un test d’aptitude de lancer de grenades qu’un accident tragique se déroule, Jojo subit plusieurs dommages physiques et se retrouve coincé dans sa ville natale durant sa période de rémission, offrant ses maigres mais nobles services aux organisations militaires locales et passant du temps avec sa mère aimante et attentionnée dans leur maison bourgeoise. Cette dernière est interprétée par une Scarlett Johansson au sommet de son art, plus émouvante que jamais.

L’Histoire à la hauteur d’un enfant

Il s’avère en réalité que celle-ci lutte dans le plus grand secret contre les forces politiques au pouvoir dans son pays pour le libéréer du joug nazi. Jojo, livré une grande partie du temps à lui-même, fait une découverte surprenante dans les combles et les murs de la chambre de sa défunte sœur – une réfugiée juive qui nous évoquera sans mal une Anne Franck (interprétée par Thomasin McKenzie) que Jojo trouve à la fois répugnante mais aussi terriblement intrigante. La poésie émerge alors et le film prend une tournure pleine de subtilités et de profondeur dans la relation qui se noue entre les deux personnages que tout oppose au premier abord. En effet, l’enfant naïf mais sûr de lui qu’est Jojo doit faire face à la haine qui lui a été inculquée par ses supérieurs et en apprend parallèlement plus sur la vie de sa réfugiée, Elsa. Une amitié improbable naît. Il doit décider s’il doit faire confiance aux délires véhéments de son Adolf invisible et exaspéré de le voir se lier d’amitié avec cette exilée, ou suivre son propre instinct et protéger sa nouvelle amie, qui se révèle être beaucoup plus humaine que ce qu’on a pu lui prétendre concernant les juifs jusqu’à présent.

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Naturellement, la question du nazisme et du génocide des juifs d’Europe dans ce cas présent peuvent être délicates à traiter si le format humoristique ne tient pas la route, mais Taika Waititi établit ce juste équilibre, agréable, ni trop poussif, ni trop léger, entre la farce détournée et le vrai sentiment, bref, un conte qui n’en est pas un. La satire moderne s’imprègne dès son introduction. Le film débute tambour battant par un hommage vibrant et plein de génie avec A Hard Day’s Night avec des images d’archives de la Seconde Guerre mondiale, accompagnées du célèbre enregistrement en allemand des Beatles de « I Wanna Hold Your Hand ». Le cadre musical est posé et poursuit tout au long de l’histoire avec des airs anachroniques similaires qui viennent surligner certains éléments essentiels du message du film et injecter le plus souvent cette gaieté décalée pour compenser habilement avec certaines images glaçantes.

Un casting solide

La distribution de Jojo Rabbit est plutôt de haute volée : Sam Rockwell incarne à merveille un officier allemand totalement perché et perdu dans son propre dessein, Rebel Wilson fait du Rebel Wilson et Alfie Allen est sacrément drôle dans la peau d’un sous-officier barré, qui assiste Sam Rockwell aux jeunesses hitlériennes. Taika souligne d’ailleurs par divers procédés souvent humoristiques les bizzareries qui émanent de cette pensée politique, bien que certaines fois, à des fins, on l’imagine, plus divertissantes, il s’éloigne de certaines vérités historiques pour aller dans la surenchère caricaturale. On notera également la présence du comédien britannique Stephen Merchant qui apparaît brièvement dans une scène assez marquante du film pour la tension qu’elle délivre, sous les traits d’un agent machiavélique de la Gestapo, une manière probablement pour Taika Waititi de rendre hommage au personnage de Hans Landa joué par Christoph Waltz dans Inglorious Basterds de Quentin Tarantino.

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Jojo Rabbit est donc une adaptation réussie du roman à succès de l’écrivaine néo-zélandaise Christine Leunens, Le Ciel en Cage. Waititi décroche d’ailleurs l’Oscar du Meilleur Scénario Adapté en 2020 pour son travail sur cette histoire. Son film parvient sans mal à mélanger fantaisie et propos sérieux, bien qu’on pourrait lui reprocher de s’inspirer parfois un peu trop de la patte du réalisateur Wes Anderson si particulière, dans la composition de l’image, l’intention dramatique ou les choix musicaux. On pourra également relever certaines séquences gagesques qui, bien que drôles sur le moment, n’ont pas de réelle pertinence dans le récit et se font vite oublier. C’est en cela qu’il sera difficile de considérer ce film comme un chef-d’œuvre à part entière, malgré un propos intelligent et des pointes d’émotion et de poésie bien senties. Taika Waititi excelle malgré tout dans certaines scènes en apportant des moments déchirants, qui feront forcément tirer une larme. Mais le plus intéréssant reste sans nul doute la vision apportée dans le film, à la hauteur, il est vrai, d’un enfant empathique auprès auprès du spectateur, et remettant en cause durant deux heures sa propre vision de l’existence, subordonnée par son éducation. Tout change ou presque et ce choix de lecture est très intéressant.

Jojo Rabbit est clivant, drôle, réussi

Avec aisance, le film détourne les codes de la satire en mélangeant les genres dans une histoire à la fois ultra poétique et acerbe. Jojo Rabbit nous montre une fois encore à quel point Adolf Hitler et son entreprise, au-delà du totalitarisme, du racisme, de l’antisémitisme, de la criminalité et de la suprématie comme socles fondateurs, restent des objets de détournement caricatural de premier choix, surtout quand des conteurs aussi talentueux que Taika Waititi s’en emparent avec toute leur poésie. Tourner le mal en dérision est vieux comme le monde mais reste une recette implacable au service du bien commun dans l’Humanité. Jojo Rabbit est une preuve supplémentaire que nous choisissons souvent de surmonter et de comprendre l’incompréhensible bien souvent en le ridiculisant simplement. Rien n’est plus enthousiasmant que l’art au service de la critique de l’idéologie du mal incarné.

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