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Luxo Jr. – Critique du cartoon Pixar

Une lampe de bureau articulée et allumée dénommée Luxo aperçoit une petite balle jaune et bleue se diriger vers elle. Observant la balle avec curiosité, elle tente de la repousser mais celle-ci revient à la charge. Vainement, la balle finit par la dépasser. Une lampe plus petite, Luxo Jr., sautille et continue de jouer avec cette balle.

Genèse de Luxo Jr. ou la promotion du logiciel RenderMan

Les studios Pixar voient le jour sous l’achat de Steve Jobs le 3 février 1986. De prime abord, Pixar était une entreprise de matériel informatique appartenant à Lucasfilm, se nommant Graphics Group. En 1986, elle est rachetée par Steve Jobs et renommée Pixar. Son premier rôle reste toujours la création et la vente de matériels tout autant que le développement de logiciels informatiques comme Renderman, logiciel sur lequel les équipes du studio travaillaient déjà sous l’égide de Lucasfilm. Le principal client de l’entreprise était Disney qui tendait à automatiser de plus en plus son département encrage et peinture. Pixar sort l’année de son rachat son premier court métrage, Luxo Jr. Réalisé par John Lasseter, le court métrage de 2 minutes et dix-huit secondes est une prouesse de technologie 3D, à l’image de synthèse aboutie. Il est surtout la preuve incontestable que l’animation et l’image de synthèse par ordinateur peuvent servir à véhiculer les émotions et donner vie et âme à n’importe quel objet.

luxo jr.

A sa création, la société Pixar s’est vu offrir la tâche de créer un court métrage qui mettrait en valeur le logiciel RenderMan et ferait la promotion de ses ordinateurs décrits comme indispensables pour le meilleur traitement du dessin vectoriel. Si ces ordinateurs se sont avérés être un certain échec commercial, le logiciel s’est lui fait sa place, et de loin, dans le domaine de l’animation. Cet outil ne sert pourtant pas à animer à proprement parler, mais il accompagne toute production animée ou tous les effets spéciaux intégrés à la prise de vue réelle puisqu’il permet de réaliser tous les rendus de textures et de lumières. Si le premier court métrage de Pixar eût question de présenter les capacités du logiciel, les courts métrages qui suivirent dans le temps eurent eux raison d’expérimenter les mises à jour et nouvelles propriétés que les ingénieurs du studio lui apportèrent régulièrement. Le logiciel fait foi dans le monde cinématographique et de nombreux réalisateurs s’en servent pour leur film. De James Cameron pour Abyss en 1989 ou Terminator 2 en 1991, à Disney pour La Belle et la Bête en 1991 (dans la mythique scène de bal) ou Aladdin en 1992, en passant par Spielberg pour Jurassic Park ou Robert Zemeckis pour Forrest Gump, le logiciel fait loi dans le septième art. La grande particularité de Renderman est de chercher à proposer un rendu toujours plus axé vers le photoréalisme, et c’est ce que les studios Pixar vont chercher à exploiter toujours plus dans leurs court métrages.

En 1986, le studio sort son premier court métrage réalisé par l’animateur John Lasseter. Directeur artistique des Studios d’Animation Walt Disney et Pixar et conseiller de Walt Disney Imagineering de 2006 à 2018, Lasseter était d’abord un animateur. Il réalise ses études d’art au Cal Arts (école créée en 1961 par Walt Disney pour renouveler les artistes des studios). Au cours de ses études, il réalise notamment deux courts métrages. Il commence ensuite à travailler à Disneyland Resort à Anaheim en tant que conducteur de bateau pour l’attraction Jungle Cruise. Il est ensuite engagé en tant qu’animateur par les Studios d’Animation Walt Disney avec son camarade du Cal Arts, Tim Burton. Il travaille à cette époque entre autres sur le moyen-métrage Le Noël de Mickey (1980) et le long-métrage Rox et Rouky (1981). Cette même année, il est intégré à l’équipe de travail sur le projet du film Tron (1982), c’est pour lui une révélation : l’animation par ordinateur est l’avenir de ce média. Après son renvoi des studios en 1983, il est engagé l’année suivante par Ed Catmull dans l’entreprise Graphics Group et propose ses talents sur le court métrage Les Aventures d’André et Wally B (1984), premier court métrage réalisé intégralement par ordinateur. Il est nommé en 1986 pour son animation numérique dans le film Le Secret de la Pyramide de Steven Spielberg. Après la naissance de Pixar, l’entreprise se consacre au logiciel 3D et John Lasseter se voit confier la création de court métrages pour leur promotion. C’est ainsi qu’en 1986, il conçoit le premier cartoon Pixar à proprement parler.

Au commencement, il dut choisir le modèle idéal qui servirait de protagoniste à son animation. Il se tourne vers sa lampe de bureau, un modèle Luxo, et le déclic lui vient : il animera une lampe. Fier de son projet, il le partage avec un animateur et ami belge, Raoul Servais, qui le met en garde et lui rappelle que quelque soit la durée de son animation et son sujet, elle doit avant tout servir une histoire et proposer une vraie personnalité à ses sujets animés. La remarque fait mouche et deviendra un adage indissociable de l’animateur Lasseter. Il n’eut de cesse ensuite d’animer des objets tout en leur donnant une réelle dimension de personnage vivant, servant à chaque fois des histoires avec toujours plus d’émotion. Alors qu’il réfléchissait par la suite à l’animation de sa lampe, John Lasseter fait un jour la rencontre d’un petit enfant emmené par l’un de ses collègues au bureau. Intrigué, il l’observe un moment avant de constater sa dynamique, il remarque ainsi que proportionnellement, l’objet en question, comme tous les enfants avait une tête disproportionnée par rapport à son corps. Le concept émerge dans la tête de l’animateur : il va créer une histoire autour de deux lampes : l’une parent et la deuxième plus petite s’apparentant à un enfant. Il s’inspire également de son film de fin d’étude Lady and Lamp qu’il a réalisé à Cal Arts et qui joue sur les contrastes. Luxo Jr. est alors conçu grâce aux apports technologiques du logiciel RenderMan, ce qui permet pour la première fois de traiter les lumières et les ombres par des calculs à part des textures. Cette dissociation permet un rendu des lumières encore plus naturel et abouti qu’auparavant. Le court métrage est présenté au public le 17 août 1986 au Special Interest Group in Graphics. En 2014, il est inscrit au National Film Registry ce qui lui permet d’être conservé à la bibliothèque du Congrès américain. Et dès le premier Toy Story en 1995, la petite lampe Luxo maintenant bien célèbre, devient le logo officiel du studio.

La personnalisation des objets au service d’une histoire percutante

Le court métrage commence sur l’ancien logo de Pixar, un carré en volume, creusé d’un cercle au milieu et en dessous, le nom de la société. Apparait ensuite le titre de l’animation : Luxo écrit avec des câbles et « Jr. » inscrit sur la petite balle jaune, bleu et rouge que l’on retrouve dans le court métrage. Les deux minutes d’animation qui suivent se déroulent sur un plan séquence fixe avec un fond sombre et seulement au sol, un plancher marron qui sert de repère spatial. L’arrière plan était volontairement dépouillé car le studio n’avait pas les moyens de faire un fond plus élaboré, mais c’est finalement ce fond noir qui permet de recentrer toute l’attention du spectateur sur l’action qui se déroule entre les personnages. La composition du cadre qui semble elle aussi assez sommaire, est en fait particulièrement bien pensée. A gauche, la lampe adulte qui prend toute la hauteur du cadre, au centre une double prise à laquelle sont reliées les deux lampes et qui témoigne de leur lien un peu à la manière d’un bébé encore relié par le cordon à sa mère. La partie droite du cadre est celle de l’action, celle du mouvement de la balle à venir et des allers et venus de la petite lampe. L’action commence après deux secondes d’un plan fixe sur la lampe adulte immobile. L’élément perturbateur, une petite balle jaune et bleu avec un imprimé d’étoile rouge apparait à l’écran venant hors champs, du côté droit et roulant jusqu’au socle de la grande lampe. Celle-ci relève son abat jour comme elle relèverait sa tête et de son ampoule, observe la balle sous tous les angles avant de la renvoyer hors champs d’où elle venait. Mais la petite sphère roule aussitôt de nouveau en direction de la grande lampe tandis que celle-ci la suit du regard par un mouvement d’abat jour. Alors que la lampe la renvoie d’où elle vient, la balle retraverse à nouveau l’écran pour aller cette fois-ci se perdre hors champ du côté opposé. La grande lampe regarde alors du côté gauche d’où la balle était toujours renvoyée. Elle a un mouvement de sursaut comme surprise avant que la petite lampe Luxo Jr. fasse son entrée dans le plan, tout excitée. En relevant son abat-jour, elle observe la lampe adulte, puis dans un petit frétillement de son bras articulé comme le ferait un petit chiot qui se trémousse, la petite lampe se lance à la poursuite de la balle sous le regard de la grande lampe. Même lorsque la lampe est hors plan à la recherche de son jouet, son câble visible sur le sol se meut et ondule en synchronisation avec le son des bonds de Luxo Jr.

luxo jr.

La balle réapparait dans le champ suivi de la petite lampe qui se met à jouer avec elle accompagnée de la grande lampe en se faisant de petites passes. Luxo Jr. décide ensuite de sauter sur la balle et d’effectuer un petit numéro d’équilibriste toujours sous le regard de la lampe parent. Tout d’un coup la balle cède, un petit bruit signifie que celle-ci s’est perforée, et tandis qu’elle se dégonfle lentement la petite lampe s’immobilise comme comprenant dramatiquement ce qui est en train de se passer. A ce moment là, la musique d’ambiance qui accompagnait cette récréation s’est également stoppée. Luxo Jr. se recule de la balle et lui et la grande lampe se penche en avant pour observer l’étendu des dégâts. La petite lampe essaie de réanimer la balle sans succès, elle lance un regard à son parent qui d’un secouement d’abat jour semble lui faire comprendre que le balle est bel et bien cassée. Luxo Jr. se tasse sur lui-même avant de partir du champ de manière lasse.

 

Pourtant, une seconde plus tard, un grand ballon surgit dans le plan à la manière de la balle au tout début et part rouler jusque de l’autre côté, Luxo Jr. traverse ensuite à son tour l’écran dans des bonds emprunts d’excitation. La lampe adulte le suit du regard avant de fixer son ampoule en direction du spectateur et de secouer l’abat jour résignée. Le traitement des deux lampes est tout à fait particulier et repose sur tout un jeu de contraste. Ce dernier apparait clairement dans le jeu d’ombre et de lumière mais également dans l’opposition entre l’animation des deux lampes. La première, représentant l’adulte, garde son socle statique durant tout le court métrage. Ses mouvements d’abat jour sont sobres et sa structure élancée. A contrario, Luxo Jr. est dynamique, toujours en mouvement, il agite son bras articulé et exploite toute sa capacité de mouvement.

luxo jr.

Le pouvoir des émotions

Tout au long du court métrage, le spectateur se surprend à éprouver de l’empathie pour les personnages et tout particulièrement la petite lampe Luxo Jr. La personnalisation des personnages les rend capable de partager leurs propres émotions et ainsi d’en faire ressentir au spectateur. Lorsque la petite lampe apparait à l’écran toute excitée de sa trouvaille, l’excitation perceptible de ses mouvements contamine le spectateur qui se prend au jeu. Lorsque Luxo Jr crève le ballon, l’auditoire retient son souffle, et lorsqu’il se tasse sur lui même sous le poids de la tristesse, le public est affligé et peiné pour la lampe. Enfin, lorsqu’elle réapparait à l’écran avec un ballon plus grand encore, le spectateur bondit intérieurement de joie et de soulagement. Toutes ces sensations sont soutenues par le fond sonore, la musique joyeuse pendant la première séance de jeu, qui se fait silence pendant la scène de décomposition de la petite lampe, et qui revient en force avec l’apparition du grand ballon. L’animation fluide et les détails secondaires en mouvement participent à accentuer encore la personnification des personnages.

Un chef d’oeuvre à la prospérité établie

Plusieurs décennies après la sortie de Luxo Jr., le film demeure toujours aussi pertinent et ne semble pas avoir pris une ride. Son animation épurée qui met l’accent sur l’émotion des personnages permet de garder à l’écran des mouvements fluides et toujours de bonne facture. Il est nommé en 1986 pour l’Oscar du Meilleur Court-Métrage d’Animation, en faisant le premier en image de synthèse à prétendre à cette catégorie et permettant à Pixar de prendre ces lettres de noblesse l’année même de sa création. Le court métrage a eu le droit à ses suites en 1990 et 1991 respectivement dans Light & Heavy et Surprise. Le succès est tel que les studios font de Luxo Jr. la mascotte et le logo de leur studio. La petite lampe écrase le « i » de Pixar à l’apparition du nom des studios au début de chacune de ses créations. Parfois de manière plus originale aussi. Dans Cars : Quatre Roues, en 2006, il remplace le zéro de « Celebrating 20 Years » pour les vingt ans de Pixar. En 2008, dans WALL•E, le petit robot remplace l’ampoule grillée de Luxo Jr. De même, l’emblématique balle jaune et bleue avec son étoile rouge apparait en guise d’Easter Eggs dans plusieurs long métrages tels que Toy Story (1995), Monstre et Compagnie (2001), Là-Haut (2009)… La renommée de la petite lampe est aujourd’hui internationale quand bien même de nombreuses personnes ne connaissent pas son origine. Le court métrage a insufflé de l’intérêt pour l’image de synthèse quand beaucoup ne faisaient pas encore confiance à la 3D. Le vent de fraicheur apporté par Pixar et sa recherche de technologies toujours plus abouties n’est pas sans rappeler ce qui animait Walt Disney une soixantaine d’années plus tôt dans ses Silly Symphonies. Les courts métrages Pixar sont toujours d’actualité, les studios ne cessant d’en sortir chaque année. Et si du chemin a été parcouru depuis Luxo Jr., celui-ci fait malgré tout date dans l’histoire de l’animation et du nouveau tournant pris avec l’emploi de l’image de synthèse.

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