Disneyphile

Alerte Rouge – Critique du Film Pixar

Alerte Rouge revient sur un moment compliqué de la vie, l’adolescence. La jeune Mei Lee, vivant à Toronto en 2002, est tiraillée entre le chaos des changements qui s’opèrent en elle et sa mère qui la voit encore comme une petite fille modèle. Comme si les innombrables bouleversements qui redessinent sa vie ne suffisaient pas, chaque fois qu’elle est submergée par ses émotions – ce qui, pendant l’adolescence, arrive quasiment tout le temps – Mei Lee se transforme en panda roux géant !

Alerte Rouge est le 25ème film d’animation des studios Pixar. S’il ne restera pas mémorable, le film est à la fois divertissant, d’une intelligence fine et probablement le long-métrage le plus actuel du label dans le sens où le spectateur se retrouvera nécessairement dans l’histoire de Mei qui est tiraillée entre son envie de vivre son adolescence sans contrainte et loin du carcan familial et sa relation semi-fusionnelle avec sa mère.

Alerte Rouge, une histoire semi-autobiographique

En 2018, en avant-programme du deuxième volet des aventures des Indestructibles, Pixar proposait le court-métrage intitulé Bao, un film réalisé par Domee Shi qui racontait l’histoire d’une mère de famille qui projetait son amour maternel à travers d’un petit ravioli vivant qui allait grandir. Un parallèle avec son vrai fils qui avait quitté le cocon familial.

Bao sera un succès critique et public qui obtiendra en 2019 l’Oscar du Meilleur Court-Métrage d’Animation. Domee Shi sera quant à elle nommée co-directrice créative de Pixar Animation Studios aux côtés du vétéran Pete Docter.

alerte rouge

Pour son premier long-métrage qui avait été suggéré à Pixar dès octobre 2017, Domee Shi a choisi d’écrire et mettre en scène l’histoire d’Alerte Rouge, tirée en grande partie de son adolescence vécue au Canada avec sa mère.

L’action d’Alerte Rouge se déroule à Toronto au printemps 2002. On y suit la jeune Meilin ‘Mei’ Lee, (doublée par Rosalie Chiang en VO et Jaylenia Coadou en VF), une jeune fille d’origine asiatique de treize ans et première de sa classe de 4ème. Mei est enfant unique mais a une relation très sororale avec ses trois meilleures amies du collège, Miriam (Ava Morse en VO, Lou Howard en VF), Priya (Marietyi Ramakrishnan en VO, Léana Montana en VF) et Abby (Heyin Park en VO, Lana Ropion en VF)

Si en apparence Mei possède une grande confiance en elle et est quelqu’un d’extravertie, cette jeune fille fait en sorte de rester une personne modèle, en particulier aux yeux de sa mère Ming (Sandra Oh en VO, Yumi Fujimori en VF). Ming et Mei ont une relation complice et fusionnelle mais la mère de famille est très protectrice – pour ne pas dire étouffante envers sa fille et ne tolère pas le moindre écart y compris avec ses fréquentations.

Une métaphore pertinente sur l’adolescence par le biais du panda

Comme toutes les jeunes filles, il arrive un jour que le corps change au moment de la pré-adolescence et en l’occurrence pour Mei, cela passe (d’abord) par une sorte de malédiction familiale issue de ses ancêtres, qui va la transformer en panda roux à chaque fois qu’elle ressent une émotion forte, bonne ou mauvaise. Le premier jour de cette métamorphose bouleversante est aussi le début d’un voyage attendrissant et réfléchi.

Avec le soutien de sa famille et de ses amies, Mei va devoir apprendre à contrôler « son nouveau physique » mais ce qui s’avère être au début une malédiction va être l’évènement déclencheur du parcours adolescent de Mei. La couleur rouge n’est pas choisie au hasard car elle constitue une métaphore en lien avec le changement physiologique et psychologique que ressent une jeune fille à cet âge.

Alerte Rouge, un film sur la puberté et l’adolescence

Ce n’est pas la première fois que Pixar explore le fait de grandir. En réalité, cela a commencé dès la saga Toy Story avec le parcours d’Andy qu’on a suivi à travers les yeux de ses jouets ou Vice-Versa avec les émotions de Riley. Alerte Rouge le fait frontalement à travers Mei avec ses envies de grandir et d’évoluer, tout en conservant l’amour de sa famille surtout celui de sa mère. On peut dire sans mal qu’Alerte Rouge est dans le fond, le film le plus actuel de la filmographie de Pixar. Cependant,  il est un tout petit peu dommage de voir l’histoire se dérouler en 2002. Certaines idées auraient été peut-être mieux exploitées à une époque encore plus contemporaine.

Tout comme son court métrage oscarisé Bao, Domee Shi s’est recentrée ici sur l’alchimie relationnelle. Travaillant avec un cadre plus grandiose que pour un cartoon et un renversement des perspectives (c’est l’histoire de l’enfant maintenant et non plus d’une mère), le cœur du travail de la cinéaste réside toujours dans les interactions des personnages. Outre les plus apparents entre Mei et sa mère Ming, il y a aussi celui qui fait tout le sel de l’histoire, le lien entre la version humaine de Mei et l’animale. Chacune de ces deux versions de Mei s’exprime sous plusieurs facettes également, notre héroïne pouvant, qu’elle soit humaine ou panda, être fragile, forte, attentionnée, réservée, éprise, enthousiaste, excitée, honteuse, offensante, peinée ou encore entêtée. La manière dont le panda et l’humaine interragissent entre eux apporte par ailleurs un aspect plus spirituel au message du film, ce qui rend ce conte Pixar si particulier sous ses airs au demeurant réconfortants et câlins.

Le film est aussi bien accessible pour les jeunes (filles comme garçons) que pour les parents qui se retrouveront peut-être en Ming. Cette dernière pousse son désir de protection jusqu’à espionner de manière presque malsaine sa fille (littéralement depuis la cour de l’école). Ming va tout faire pour l’isoler du monde extérieur et de ce qu’elle pense nuisible pour elle (ses amies, les garçons, la musique notamment). Elle dépassera même les limites dans le dernier tiers du film mais les raisons sont à la fois compréhensibles et inattendues. La maternité est ainsi traitée de manière inédite dans un Pixar, avec tous les problèmes qu’un parent, n’ayant pas forcément toutes les cartes en main et un passif différent de son enfant, peut rencontrer lorsqu’une pré-adolescentre entre dans un âge un peu plus mûr. Entre un père aimant mais aux abonnés absents qui préfère laisser sa fille vivre sa vie comme elle l’entend et une mère ultra-rigide qui a tout simplement peur de voir la chose la plus précieuse au monde pour elle lui échapper, le tout lié à une histoire familiale plus complexe qu’elle n’y paraît, Alerte Rouge est bien plus captivant qu’il n’en a l’air et résume ce que beaucoup de familles vivent au quotidien partout dans le monde ou presque.

alerte rouge

Le travail autour du message de la puberté et de tous les problèmes qu’elle engendre est mené avec brio tout au long du film, toujours grâce à la figure du panda roux mais aussi la vie de Mei humaine avec ses amies, qui traversent toutes les émotions possibles à cet âge si spécial. Le système matrilinéaire de cette malédiction du panda roux permet de mieux comprendre où veut nous emmener la réalisatrice. Elle nous fait ainsi comprendre que cette créature peut être vue comme protectrice dans le pays d’origine de Mei mais aussi par extension son foyer familial à Toronto et interprétée comme destructrice à l’extérieur (à l’extérieur des frontières de son pays d’origine donc mais aussi quand elle franchit le seuil du portail familial). Ming n’a pas vraiment tort quand elle dresse le portrait de ce panda roux issu d’une divinité ancestrale, car la course paniquée du panda roux Mei de l’école à la maison rappelle certains films de kaiju, mais en beaucoup plus mignon. C’est aussi, vous l’aurez compris une manière habile de montrer la vie d’une petite pré-adolescente qui se comporte différement quand elle est en famille ou avec ses amis et le monde extérieur et qu’il faut apprendre à composer entre deux mondes et ne pas se laisser enfermer ni dans l’un ni dans l’autre.

Alerte Rouge traite aussi avec simplicité de harcèlement, de sexisme ou de violence scolaire, dénonçant de la plus belle des manières et souvent avec humour ces fléaux, et permettant à son jeune public de s’identifier à Mei et ses amies. Le message est passé avec une certaine brutalité réaliste qui le rend d’autant plus actuel, le cyberharcèlement de notre époque en moins. C’est bien simple, on se croirait par moments dans une série pour pré-adolescents des années 2000 mais avec beaucoup plus d’éléments réalistes. On peut également apercevoir dans le film un jeune personnage diabétique. Là encore, Pixar poursuit ses efforts pour montrer la vie telle qu’elle est et non pas telle qu’elle devrait être dans un film d’animation fantasmée.

Une animation originale

Alerte Rouge possède une animation différente de tout ce que le studio à pu faire jusqu’ici. Ici, le film offre une animation plus plate, aux traits percutants mais avec un rendu photographique très réaliste en particulier dans les décors et les effets visuels. La culture et les paysages asiatiques sont finement représentés pour illustrer les origines ancestrales de Mei et explique pourquoi le panda est un animal important dans la famille Lee.

L’approche visuelle finalement très brute (mais réconfortante) d’Alerte Rouge distingue Domee Shi des autres cinéastes de sa génération. Première réalisatrice à mettre en scène un film Pixar en solo – et la première à utiliser de manière significative des éléments culturels centrés sur l’Asie. Le mélange de textures réalistes avec des influences animées très ardentes offre des plans toujours soignés mais le montage très rythmé ne permet pas toujours de poser de manière suffisante certains messages pourtant importants, même si le film ne les omet pas totalement.

alerte rouge

Vous pouvez toujours profiter du film pour tout ce qu’il offre dans sa part de divertissement pur. Outre les nombreux gags de situation ou verbaux liés notamment aux interactions entre élèves au collège, c’est bien les gestuelles du panda roux (on adore la dynamique apportée au personnage au niveau de ses oreilles ou sa queue notamment) qui rendent certaines scènes très expressives et visuellement amusantes. L’humour très visuel se retrouve aussi chez les humains. La manière presque cartoonesque de mettre en avant certaines réactions de personnages provoque nécessairement le sourire. Quand ce ne sont pas les visages qui sont déformés, c’est le corps tout entier. On pensera par exemple aux postures très austères et franches de la mère de Mei, qui accentuent de manière presque ridicule son autorité parentale. C’est d’autant plus vrai quand Ming découvre les fantasmes de Mei axés sur les garçons dans un cahier, tous dessinés à la main.

L’amour de la réalisatrice pour sa culture se ressent bien évidemment à travers les décors ou les rites familiaux mais aussi la gastronomie mise en avant très souvent. Des har gows, des baozis et même du Hui Guo Rou ont droit à une déclinaison animée. L’art de la table – qui sous-entend aussi la convivialité et l’esprit de famille – est souvent souligné tout au long du récit. Vous aurez également des flashbacks occasionnels sur une époque où les animes Cardcaptor Sakura, Sailor Moon ou Fruits Basket faisaient fureur, grâce à des détails souvent visuels tels que des pupilles qui s’excitent, des larmes et de la sueur hyper accentués, des petits ralentis et d’autres jolies exagérations qui forcent le trait pour mieux rendre hommage à cette culture populaire.

Le ton de Alerte Rouge est résolument adapté à celui de Mei, ce qui offre une résonance toute particulière à l’intrigue. Si, à un moment donné, le film semble perdre de sa dynamique ou se dérouler plus lentement, c’est aussi parce que Mei perd elle aussi de sa détermination à réaliser ses rêves et que des contraintes qui sont cette fois-ci extérieures ne lui permettent plus d’avancer comme elle l’entend. Beaucoup de pouvoirs autoritaires exercent, il faut dire, des pressions sur la vie de la jeune fille, mais le principal est ironiquement celui de la personne qui l’aime le plus – sa mère. Ming et Mei peuvent sembler faire les mêmes choses, apparaître sur des photos, garder le temple familial propre, regarder des séries B et profiter des repas faits maison de leur mari / papa Jin (Orion Lee), mais elles sont loin d’avoir les mêmes esprits. Quand elle prend des libertés et de l’indépendance, Mei reprend aussi le fil de l’histoire qu’elle mène jusqu’au bout avec un rythme alors plus soutenu qui lui correspond. Cette approche fonctionne d’un bout à l’autre.

Un soupçon de nostalgie musicale

Dans le filmn Mei et ses amies veulent aller au concert de leur groupe préféré, 4*Town (erzatz fictif de Backstreet Boys ou N’SYNC) sauf qu’elles se heurtent à des problèmes d’argent. Pour y assister, elles vont user d’un stratagème assez original quitte à ce qu’elles s’attirerent des ennuis. Ming a grandi et Mei continue de grandir. Alors que la priorité absolue pour maman est la famille, ce qui est important pour Mei, ce sont les garçons, les amies et ce groupe. L’idée d’aller voir un concert avec elles est selon Mei un « premier pas vers la féminité », alors que ce n’est qu’une démonstration publique de « délinquants scintillants » selon sa mère, ces chanteurs ne pouvant qu’influencer négativement les filles. Après tout, ce groupe de cinq membres a le numéro 4 dans son nom, un chiffre maudit dans la culture chinoise par ailleurs… Il n’a donc pas été choisi au hasard dans le récit.

alerte rouge

En explorant les complexités (et les hilarités) de la jeunesse et de la parentalité avec le prisme des mères d’origine asiatique, les scénaristes Domee Shi et Julia Cho laissent aussi entendre que pour grandir, il n’y a pas une seule recette pré-conçue et qu’il est tout à fait possible de bifurquer par des chemins supplémentaires et d’emprunter des voies différentes et parfois inattendus. Comme le montrera le dénouement du film, il n’y a pas de vainqueur lorsqu’on pose simplement des ultimatums à la vie ou qu’on raisonne de façon soit trop individualiste soit trop collective.

Si la musique principale de Ludwig Göransson (The Mandalorian, Black Panther) a quelques qualités, permettant d’apporter du liant aux différents mondes de Mei, elle ne reste pas dans les mémoires. L’utilisation de la flûte, du dizi, de l’erhu, du guzheng et la batterie permettent malgré tout d’offrir une partition moderne à l’ensemble. Les chansons du groupe fictif 4*Town écrites et composées par la pop-star Billie Eilish avec son producteur et frère Finneas O’Connell (qui double par ailleurs un des membres) fleurent bon la nostalgie des années boys-band qui affolaient les charts dans les années 1990 et 2000. Certaines d’entre elles offrent des moments marquants dans les scènes du film et leur apporte plus de relief, le tout enrichi d’instruments plus traditionnels. Ce détail musical souligne à quel point l’histoire de Mei concerne autant son avenir que son passé. Certains airs évoquent un sentiment de déplacement qui caractérise l’expérience des immigrants dans un autre pays.

Alerte Rouge, un film véritable produit d’appel de Disney+

Alerte Rouge est le troisième film d’affilée à sortir quasi mondialement sur Disney+ en deux ans. Une décision qui a provoqué une division en coulisses parmi les artistes de Pixar. Même si aujourd’hui les salles ont repris une activité normale, la situation sanitaire changeante et incertaine ont conduit Disney à prendre une décision rapidement avant le début de la promotion du film.

Difficile à dire s’il aurait eu du succès en salles mais Alerte Rouge constituera un vrai appel d’offres pour le printemps 2022 de Disney+. Espérons seulement que Buzz l’Éclair signera le retour des films Pixar au cinéma cet été.

Alerte Rouge est un film sympathique, très drôle, rythmé, doté de thèmes actuels – la puberté, le passage à l’âge adulte, l’acceptation de soi malgré les changements physiques, la maternité ou la tolérance à l’école en particulier pour les jeunes filles – et d’une animation une fois de plus originale, qui flirte avec la culture des animes et les séries Disney Channel. Même s’il manque ce moment de cristallisation émotionnelle qui est la signature des œuvres de Pixar, le film est à ne manquer sous aucun prétexte tant il brille par son message intelligent sans pour autant se prendre au sérieux. Il aura aussi la vertu de sensibiliser parents comme enfants sur le rôle qu’ils doivent tenir les uns envers les autres sans pour autant oublier de vivre leurs rêves respectifs.



© Disneyphile 2023 / Tous droits réservés / Reproduction interdite

Articles en lien

The Tortured Poets Department (Pixar’s Version)

Clémence Seguin

Découvrez les premières informations sur l’artbook de Vice-Versa 2

Akibe Kone

Dans les coulisses de la création de Vice-Versa 2

Florian Mihu

Laisser un commentaire

* En utilisant ce formulaire, vous acceptez le stockage et la gestion de vos données par ce site.