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Scorsese Marvel : la polémique enflammée

C’est le sujet dont on parle le plus dans la sphère cinématographique depuis le début du mois d’octobre 2019, les films de super-héros ou plus précisément les films Marvel sont-ils du cinéma ? C’est par cette simple déclaration que l’illustre Martin Scorsese a mis le feu aux poudres dans les deux camps, aussi bien chez les pro- que les anti-Marvel, pour en faire un feuilleton sans fin.

« Ce n’est pas du cinéma, ça ressemble à un parc d’attractions ! »

En promotion pour son nouveau film The Irishman qui sera diffusé sur Netflix le 27 novembre 2019, le réalisateur Martin Scorsese a déclaré au magazine Empire ne pas apprécier les films Marvel : « Je ne les regarde pas. J’ai essayé, vous savez mais ce n’est pas du cinéma. Bien qu’ils soient bien fabriqué et que les acteurs font de leur mieux, j’associe ces films à des parcs d’attractions. Il ne s’agit pas d’un cinéma d’êtres humains essayant de communiquer des expériences émotionnelles et psychologiques. »

Intentionnels ou pas, les propos du réalisateur de Taxi Driver, Casino et Shutter Island ont fait le tour du web provoquant à la fois l’appui ou la colère des cinéphiles. Joss Whedon, réalisateur des deux premiers long-métrages Avengers et James Gunn, réalisateur des films de la saga des Gardiens de la Galaxie, ont été attristés de ses sorties : « Martin Scorsese est un de mes cinq réalisateurs préférés, j’étais attristé lorsque les gens avaient descendu son film La Dernière Tentation du Christ, je suis aujourd’hui triste qu’il s’en prenne de la même manière à mes films sans les avoir vus » a posté Gunn sur Twitter. Dans les jours qui suivirent, les réactions du côté de Marvel ont été soit tranchées comme Samuel L. Jackson (« Il n’y a pas que des choses bien dans la filmographie de Scorsese« ) ou Natalie Portman (« Tous les films sont du cinéma ») ou plus modérées comme pour Robert Downey Jr. (« Il a le droit de dire ce qu’il pense, c’est d’ailleurs un vrai débat ») ou Benedict Cumberbatch (« Je suis d’accord et je crois qu’il ne faut pas qu’un ‘roi’ domine tout le reste avec un monopole. Nous devons soutenir les films d’auteur à tous les niveaux »).

Mais Coppola a répliqué en soutien à Scorsese

Cela aurait pu en rester là jusqu‘à ce qu’un autre artiste de prestige mette son grain de sel. Invité au Festival Lumière de Lyon, Francis Ford Coppola, le réalisateur tout aussi mythique pour la saga du (Le) Parrain, Scarface et Dracula a soutenu Martin Scorsese en mettant un gros taquet à Marvel. « Les propos de Scorsese sont peut-être sortis de leur contexte mais il a raison de dire que ces films sont comme des parcs d’attractions. Au moins il n’a pas dit qu’ils sont abjects mais moi je le dis ». Cash voire violent, Francis Ford Coppola a mis de l’huile sur le feu avec cette petite phrase et les réactions de l’autre camp ne se sont pas fait attendre et il y en a particulièrement une qui était inattendue, celle de Bob Iger. Et oui, le big boss de Disney s’est mêlé au débat en sortant de sa réserve impartiale et en chargeant les deux réalisateurs.

black panther 2 d23 expo

« Je préfère utiliser le mot abject pour quelqu’un qui a commis de vrais crimes, […] Cela me laisse perplexe mais s’ils veulent parler de ces films en ces termes c’est leur droit après tout ce ne sont que des films. En revanche, leurs propos sont irrespectueux envers tous ceux qui travaillent durement sur ces films. Est-ce que ça veut dire pour eux que Ryan Coogler qui a fait Black Panther a fait quelque chose de moins fort par rapport à ce que Scorsese et Coppola n’ont jamais fait dans leurs carrières respectives ? Bah je le dis. » Rappelons que Black Panther reste à ce jour le seul film de Marvel voire de super-héros à avoir été nommé à l’Oscar du Meilleur Film. Aussi étonnant que ça puisse paraître, Kevin Feige, fraîchement nommé Directeur Créatif de Marvel et PDG de Marvel Studios, n’avait pas répondu immédiatement ou été interrogé sur cette polémique (même si ça ne devrait plus tarder). On ne peut que saluer cette sage décision de ne pas avoir voulu se mêler immédiatement à la meute et préféré garder le silence.

La réponse de Kévin Feige

1 mois après le début de la polémique, Kevin Feige a donné son avis au The Hollywood Reporter’s Podcast Chatter sur les déclarations des deux cinéastes avec une pointe d’agacement :

Ce n’est pas vrai et pour moi c’est regrettable qu’ils aient dit ça. Tous ceux qui travaillent pour Marvel et moi-même adorons le cinéma, adorons les voir, fabriquer et les vivre […]. Tout le monde a une opinion différente sur ce qu’est le cinéma, de l’art et des risques.

Certaines personnes disent que ça n’est pas du cinéma, ils ont le droit de le dire, de le répéter ou d’écrire dessus mais pendant ce temps nous continuons à fabriquer des films.

Notre avis sur les propos de Scorsese et Coppola

Il est malaisé de tenir une position claire sur ce sujet parce qu’au final, Martin Scorsese tout comme Francis Ford Coppola n’ont exprimé qu’une opinion sur Marvel voire un avis global sur le cinéma de genre super-héroïque, qui n’engage qu’eux. Si on prend un peu de recul en analysant cette polémique, on peut dire qu’en en un sens, Scorsese a raison lorsqu’il dit que certains films ressemblent juste à un parc d’attractions, ce n’est pas péjoratif. Avengers Endgame en est la preuve, c’est un film que le public a longtemps fantasmé et qui est devenu réalité avec la scène « Portals », un spectacle grandeur nature dans le bon sens du terme et qui est devenu au passage le métrage le plus rentable de tous les temps au box-office mondial. Il est vrai également, que les deux cinéastes en question, symboles du Renouveau hollywoodien, posent là une critique sur un genre, une marque mais aussi une industrie commerciale dont les valeurs vont à l’opposé des leurs. Si leur vision du cinéma reste argumentée, solide mais contestable, leur vision des nouvelles stratégies financières d’Hollywood est plutôt réaliste. Les gros flux de capitaux ne vont plus vers le cinéma d’auteur ni le cinéma tout court puisque le cinéma devient de plus en plus monochrome et qu’il est compliqué en France comme aux Etats-Unis de proposer des choses innovantes, que le public ne réclame pas forcément.

muppets scorsese coppola
Ca nous a inspiré ça…

Mais d’un autre côté, il ne faut pas oublier que le Cinéma est aussi un divertissement (ça n’est pas George Méliès qui dirait le contraire), peu importe le genre auquel il appartient, le public s’identifie à des personnages aussi bien fictifs que réels. Le Cinéma est éclaté en ce sens qu’il ne se définit par de façon uniforme et que de nombreuses définitions. Des philosophes comme Gilles Deleuze ont étudié la question par le prisme de l’image dans la civilisation. Le cinéma est vécu comme l’art du mouvement avant tout et recelle à la fois sa part de mystère et de magie, qui viserait à transcender ce que les autres arts majeurs ne peuvent atteindre. Et dans ce cas, effectivement, la définition qu’en font les réalisateurs Scorsese et Coppola qui souhaitent faire du Cinéma un outil d’apprentissage du monde se heurte à cette sensibilité philosophique de l’émerveillement. Car le Cinéma reste aussi, quoi qu’en disent les élites, un espace d’approche libertaire où il n’est pas forcément primordial d’en tirer une leçon, d’analyser la psyché humaine, d’apprendre le monde, d’en ressortir instruit ou épanoui intellectuellement. S’émouvoir de toutes les manières possibles est une expérience possible dans une salle de cinéma ou devant son écran de télévision, une émotion palpable, réelle et éphémère par ailleurs, qui n’impactera pas plus notre existence que cela. Ainsi, un blockbuster super-héroïque représente aussi une part de nous.

Un débat de vieux cons

Par ailleurs, il est assez déplorable de constater que Scorsese et Coppola, deux figures du Nouvel Hollywood, qui n’ont évidemment plus rien à prouver et ont la légitimité pour parler (on ne remet pas ça en cause), deviennent les juges à sentence d’un nouveau genre cinématographiques, eux qui en leur temps, ont été maintes fois décriés par la presse et la profession au départ ; après tout, c’est durant leurs belles années que la science-fiction s’est réinventée avec Star Trek puis Star Wars, la dernière franchise ayant reçu nombre de critiques négatives lors de ses premières années d’existence. N’oublions pas que les deux énergumènes, un poil ronchon, ont vécu au temps de la suprématie du genre du western qui asphyxiait l’industrie et que leur cinéma a eu du mal à émerger au départ, si bien qu’aujourd’hui, des films de super-héros ne seraient probablement pas possibles sans le travail qu’ils ont eux-mêmes accomplis en quelque sorte. Heureusement, un autre copain de la bande du Nouvel Hollywood, Steven Spielberg, n’est pas forcément du même avis qu’eux deux. En 2016 au Festival de Cannes, le papa de E.T. encensait le genre des super-héros qu’il soit passé (Superman) ou plus récent (The Dark Knight, Iron Man, Les Gardiens de la Galaxie qualifiant ce dernier film au passage comme « dépourvu de cynisme, de peur ou de la nécessité d’être obscur »). La notion de héros qu’il développait dans un son interview serait en soi un grand débat également. Mais non, cette polémique n’est un débat sans fin mais un débat de générations probablement, un débat de vieux cons sans aucun doute.

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