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Mulan sur Disney+, un nouveau tournant pour Hollywood ?

Le 4 août 2020, les fans Disney et le public apprenaient avec stupéfaction que Disney avait décidé de retirer de son agenda de sorties au cinéma, son blockbuster tant attendu Mulan, réadaptation en prises de vue réelles de la légende de l’héroïne guerrière chinoise. Nous aurions pu en rester là mais cette annonce s’est accompagnée d’une autre qui a fait trembler toute la planète cinéma (public et industrie compris) puisque la firme aux grandes oreilles a décidé de proposer à partir du 4 septembre 2020 son film directement sur sa jeune plateforme de vidéo à la demande montante, Disney+.

Comment en est-on arrivé au choc du 4 août 2020 ?

Pourquoi cette annonce a-t-elle eu un retentissement considérable ? Mulan est sûrement l’un des plus grands films annoncés par la firme pour l’année 2020. Réalisé par Niki Caro avec un budget colossal de 200 millions de dollars, ce hit qui tablait ni plus ni moins vers une explosion au box-office mondial devait sortir en 2019 initialement. De multiples raisons d’agenda et de production ont conduit les Walt Disney Studios à reporter sa sortie à début 2020. Ce premier retard n’aura pas porté chance film, plongé, bien malgré lui, en pleine montée de la pandémie de la COVID-19 à travers le monde, et rendant son exploitation en salles – d’abord en Asie puis dans le reste du monde – impossible.

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De plus, sa promotion part déjà très mal dès août 2019 quand elle se voit entachée par la polémique autour des propos de son interprète principale sino-américaine, Liu Yifeiaprès son soutien manifeste et publique à la police de Hong Kong, alors que cette dernière est accusée d’user de la force de façon excessive contre les manifestants à Hong Kong en 2019, qui luttent pour plus de démocratie dans leur État et moins d’oppression chinoise. Les réactions ne tardent pas. On critique ouvertement les conditions de vie de l’actrice, protégée par sa double nationalité, et qui, selon les dires d’internautes, « supporte un régime totalitaire depuis chez elle ». S’en suit alors une vague de boycott contre le film qu’elle porte, comme jamais vu auparavant. Le mot-dièse #BoycottMulan est utilisé comme moyen de pression sur les réseaux pour inciter à ne pas aller voir le film.

Un film déjà pris dans une polémique en 2019

C’est dans ce contexte qu’est présenté Mulan à la D23 Expo, sans la présence de l’actrice. D’autres internautes soulèvent la contradiction entre le personnage que Liu Yifei incarne dans le film, qui s’engage pour protéger les siens et son peuple contre l’envahisseur. S’il est assez facile pour les exécutifs de Disney d’écarter temporairement leur vedette de la promotion du film, il est inconcevable de retourner le film avec une autre star pour de nombreuses raisons évidentes, à commencer par le fait que le film a coûté très cher et que changer d’actrice principale reviendrait à repartir à zéro et donc perdre 200 millions de dollars, pour en réinvestir 200 supplémentaires… Lors de la promotion finale du film en mars, si l’équipe de production ne prend pas directement fait et cause pour l’actrice, ils apportent malgré tout leur soutien à l’artiste et recentrent le débat sur le film. Même si le mal est fait, l’excitation autour du film commence petit à petit à ressurgir… Mais tout ne se déroulera pas comme prévu !

En mars 2020, après une avant-première mondiale fabuleuse, les dirigeants de Disney sont contraints de se faire une raison. Sans la Chine comme marché booster pour le film, il ne sera pas possible d’offrir une exploitation mondiale digne de ce nom à Mulan et d’en faire un événement cinématographique. Plusieurs questions se posent dès lors ? Sortir le film sur certains continents en sacrifiant temporairement l’Empire du Milieu touché par la crise sanitaire ? Cette solution n’a que peu de chances d’aboutir. Le piratage étant encore légion, les chinois auraient en partie déserté les salles lors de sa sortie retardée en Chine (probablement des mois après d’autres pays). De plus, il était impossible de proposer le film sous une autre forme dématérialisée. Disney+ n’est pas disponible dans ce pays.

La situation hors-normes de 2020

Finalement, il est décidé d’offrir une nouvelle fenêtre de sortie estivale à Mulan, qui se voit remplacer Jungle Cruise, autre blockbuster repoussé quant à lui d’un an. Disney espère alors que d’ici le 24 juillet 2020, la situation pandémique mondiale se sera décantée bien que personne ne soit sûr de rien. Alors que l’Asie se remet tout doucement du coronavirus en juin et que l’Europe est entre deux eaux, l’Amérique est la dernière victime, qui se prend de plein fouet ce fléau et présente même plus de difficultés que d’autres continents à y faire face. Que faire du film Mulan dans ce cas  dans un contexte où les cinémas chinois rouvrent très timidement et leurs homologues américains affichent dans la plupart des États-Unis sévèrement touchés, portes closes ? Disney ne peut se résoudre à proposer un film censé marquer l’été cinématographique, exclusivement en Europe et en Océanie.

Le 26 juin 2020, un nouveau report est annoncé. Cette fois-ci, de quelques semaines seulement puisque la nouvelle date de sortie de Mulan est fixée au 21 août 2020. Les Walt Disney Studios en la personne d’Alan Horn se disent alors confiants et ne souhaitent en aucun cas que la situation mondiale ne sabre le succès du film. Il est alors réaffirmé par toutes les équipes que ce film se doit d’être présenté dans des conditions optimales pour honorer le travail de Niki Caro et ses équipes, c’est-à-dire sur grand écran et rien d’autre. La puissance, l’émotion et l’épopée du film en font véritablement le grand spectacle de l’année que les spectateurs s’impatient de découvrir. Mais la situation du coronavirus ne cesse d’évoluer, et pas forcément dans le sens qu’espère les grandes majors hollywoodiennes contraintes de reporter ou d’annuler des sorties de films.

Artemis Fow, Le Seul et Unique Ivan puis Mulan

La diffusion de Artemis Fowl et Le Seul et Unique Ivan sur Disney+, deux autres films Disney qui étaient prévus cette année au cinéma, sont vus davantage comme des sacrifices ou des plans B pour attirer toujours plus de public sur les seuls médias consommés pendant cette période où des populations se retranchent chez eux, par ordre du gouvernement de leur pays, à savoir les plateformes de streaming. Les réactions globales sont plutôt positives quand Disney se résout à transférer chacun de ces films sur sa plateforme Disney+. Mais personne n’imagine un seul instant que Disney pourrait franchir le pas pour Mulan – quitte à se fourvoyer dans ses propres engagements vis-à-vis du public. Et le doute commence à s’installer en juillet 2020 quand le film est retiré officiellement de l’agenda de sorties cinématographiques de l’Empire de la Souris.

Plus aucune date n’est fixée pour Mulan. Certains pensent alors que Disney préfère attendre la pandémie soit freinée notamment aux États-Unis et que les cinémas rouvrent pour annoncer une nouvelle date de sortie. Il n’en sera rien et le coup de tonnerre est immense lors de la révélation des résultats de l’entreprise pour son troisième trimestre de l’exercice 2020. Bob Chapek, CEO de la compagnie, annonce ce qui paraissait il y a encore six mois totalement impensable dans l’industrie du divertissement : Mulan, l’un des films à plus gros budget de la firme depuis des années, qui porte à la fois le poids de plusieurs années de succès de remakes au cinéma mais aussi un vent de modernité considérable, ne fera pas l’événement au cinéma, du moins dans la plupart des pays bénéficiant déjà de Disney+. Car oui, la finalité de longs mois d’attente sera le streaming, ni plus ni moins. Le deuil pour certains fans Disney est dure à vivre, qui comme nous espéraient vivre cette expérience cinématographique sur grand écran, et pourquoi pas en IMAX et en Dolby Cinema.

Mulan sur Disney+ : pourquoi ?

Il faudra se résoudre à l’écran de télévision, la tablette, l’écran d’ordinateur ou le smartphone… Rude ! Les premiers pays annoncés sont évidemment les États-Unis où les exploitants cinéma sont toujours paralysés, mais aussi le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Mais cette sortie dématérialisée fixée au 4 septembre 2020 se veut mondiale. L’Europe de l’Ouest, qui est équipée de Disney+, n’y échappera pas. La France suit la cadence. Dans le cas contraire et inconcevable du fait de ce mouvement général, les français auraient pu découvrir le film en salles avant de le retrouver en 2023 sur Disney+. Mais là où le bat blesse pour certains, c’est le tarif qui accompagne cette annonce ! Pour profiter de Mulan sur Disney+ en tant que contenu Premium, il faudra débourser la somme de 29,99 dollars, en plus d’avoir un abonnement valable (6,99 dollars par mois).

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A l’heure où sont écrites ces lignes, le tarif pour la France n’a pas été fixé pour le moment. Voilà donc la sentence finale d’un été noir pour les exploitants, les distributeurs et les producteurs de cinéma. Les uns n’ont pas pu se relever dans les pays où cela était possible, s’appuyant dès lors sur des films à petits budgets pour sortir un peu la tête de l’eau, les autres ont espéré une reprise… en vain. Voués à sacrifier leurs films sur des plateformes de VàD, ils ont fini pour certains par profiter de la situation et en faire leur cheval de bataille. C’est le cas de Disney qui espère avec ce gros coup, refaçonner (à jamais ?) l’industrie du divertissement. De mémoire, jamais aucun studio n’avait osé prendre le risque de saborder l’un de ses plus gros hits pour le proposer directement en vidéo à la demande. C’est soit un coup de maître de la part de la firme aux grandes oreilles, soit un échec cuisant ! Mais compte-tenu du retard de sortie de Mulan, de son coût de production pharamineux, et des efforts de promotion des studios qui n’ont servi à rien durant toute l’année, Disney a déjà dépensé beaucoup d’argent et d’énergie sur ce film.

Du Premium VOD, aubaine ou danger ?

Jusqu’à présent, les films qui ont été retirés de sorties en salles en faveur de PVOD (Premium VOD) sont des films d’animation familiaux comme Trolls World Tour et Scoob! ou des comédies à petit budget comme The Lovebirds et King of Staten Island. On s’attendait à ce que les superproductions, avec leurs énormes coûts de production et de marketing, restent le domaine des salles de cinéma, car elles ont besoin du modèle d’exploitation en salles pour réaliser un véritable retour sur investissement avec plus d’un milliard de dollars de recettes au box-office et des centaines de millions en recettes annexes post-cinématographiques.

Il fallait se résoudre au choix le moins fatidique si l’on se place du côté de Disney, celui de sauver Mulan à tout prix, même si cela passe par une forme de trahison vis-à-vis des exploitants (qui ont bien aidé Disney à culminer au sommet du box-office en 2019), qui espéraient encore profiter de ce blockbuster pour relancer réellement leurs activités. Tout cela en sachant que l’avenir reste quant à lui incertain et que personne ne sait de quoi sera fait demain. Le film aurait pu être encore repoussé maintes fois après tout… Si Warner Bros. a joué encore le jeu en décalant Tenet dans les salles, Disney a préféré se résoudre à utiliser sa vitrine de choix qui ne cesse d’accroître son nombre de fidèles. Et le cas de Mulan est d’autant plus intéressant puisque le besoin d’apport de cash sur court terme se fait plus grand qu’une vision sur long terme désormais totalement anéantie par le virus ; il faut dire que la plupart de ses branches de Disney étant plus que dans le rouge depuis mars 2020.

« On s’arrache la vache ! » Mushu

Autre raison qui a poussé Disney à cette décision : son calendrier toujours plus resserré. Déjà, les studios ont dû repousser d’un an tous les films Star Wars et Avatar et chambouler à plusieurs reprises leur calendrier, à cause de la fermeture des cinémas. Disney a encore d’autres films pour 2020 comme Black Widow et Soul, qui devraient sortir en salles normalement… Mais essayer de trouver une énième date de sortie mondiale pour Mulan était finalement inconcevable… Aucun studio ne souhaite aussi sortir plusieurs films à des écarts de date très étroits. C’était le cas pour Mulan confronté aux (Les) Nouveaux Mutants en ce mois d’août. Finalement, le premier film de Disney qui sortira en salles est un outsider. On comprend dès lors que la firme ne souhaite prendre plus aucun risque inutile et préfère placer un petit pion sur le devant de la scène dans un contexte incertain plutôt que la machine de guerre de son écurie… Les Nouveaux Mutants de 20th Century Studios est désormais le cobaye qui prendra la température même si son public cible sera plus restreint. Mais une chose est sûre, si Disney était persuadée dès le départ du bien-fondé d’une sortie en streaming, elle aurait retiré depuis longtemps ses films de son line-up cinéma et d’autres studios auraient déjà procédé de cette manière. Or, nous avons attendu des mois avant que la société ne fasse le grand pas. Disney a senti que c’était le moment le plus opportun pour espérer maximiser les profits autour de son film, dans une situation où il n’y avait probablement plus d’autre choix.

Bob Chapek parle d’une situation unique

Même si Bob Chapek parle d’un cas unique concernant cette décision qui divisera forcément, nul doute que si cette prise de risque s’avère payante, Disney n’hésitera pas une seconde à rempiler et imposer ce nouveau mode de consommation de ses long-métrages en catégorie poids lourd. Imaginez alors un film Marvel Studios ou Star Wars atterrir directement sur la plateforme de Disney plutôt qu’en salles. Imaginez aussi que toutes les autres grandes maisons d’Hollywood emboîtent le pas de Disney ! Se dirigerait-on vers une mort annoncée des réseaux d’exploitants, totalement démunis, sans aucune marge de manœuvre et voués à présenter des films à faible audience ?

Car oui, Mulan était le film providentiel pour ces exploitants, le film familial par excellence. Celui qui pouvait rétablir un certain équilibre dans l’industrie du cinéma. La solution de considérer Disney+ dans son entièreté internationale au lieu d’évaluer cas par cas la situation dans chaque pays pourra sûrement en dérouter plus d’un. Nous les premiers… Si les États-Unis en étaient incapables, certains pays en Europe n’auraient eu aucun mal à présenter le film en salles plutôt qu’en dématérialisé. Cette amertume de la part d’une frange des spectateurs va sûrement être un paramètre à prendre en compte car au final, c’est le public qui décidera du sort de ce film. Les gens seront-ils prêts à débourser une somme de 30 dollars (ou équivalent dans leur pays) ? Il est vrai, ce prix a pu en rebuter certains mais en réfléchissant de plus près sur le modèle commercial que veut imposer Disney, il est assez compréhensible (même si nous ne sommes pas là pour le défendre).

Le streamer Disney+ va-t-il réussir son coup ?

Mulan étant un film familial par excellence, Disney, qui souhaite malgré tout faire du film un événement semblable celui qui aurait dû se produire en salles, est dans l’optique de cueillir la famille abonnée à Disney+. Celle-ci paye déjà son abonnement mais aurait payé (si l’on fait une moyenne de deux parents et deux enfants) environ le double d’une trentaine de dollars en allant voir le film en salles. Le schéma de Disney est claire : couper la poire en deux et trouver un prix plus ou moins équilibré, qui fait la synthèse du business plan dont aurait dû bénéficier le film au cinéma et celui d’un service de vidéo à la demande. Le Premium VOD est né ! En revanche, pour ce prix de location, on peut imaginer aisément que cette même famille aurait pu attendre la sortie sur support physique du film et se procurer le Blu-Ray (pour le même prix donc). On ignore encore quelle sera la durée de location de Mulan mais si le film n’est disponible par exemple que 48h, le public ne mordra pas à l’hameçon. En revanche, Disney ne fait certainement rien au hasard et tire des leçons des mois passés.

Mais pour que Mulan cartonne sur Disney+, il ne faudra pas non plus penser que prix mais aussi nostalgie sur laquelle Disney s’est appuyé pour faire des remakes qui ont su trouver leur public. C’est aussi sûrement ce qui poussera ou non le spectateur type à dépenser une trentaine de dollars. Trolls World Tour a été un immense succès sur PVOD grâce aux familles qui cherchaient un moyen de divertir les enfants, et payer 20 à 30 dollars pour voir un film est sensiblement le même prix qu’une famille de quatre personnes paierait pour des billets de cinéma dans petits réseaux d’exploitants. Mais les remakes de Disney n’ont pas seulement convaincu les familles. Ils ont également rappelé de bons souvenirs aux trentenaires d’aujourd’hui, bercés par les films Disney des années 1990. Les célibataires qui ont souscrit à Disney+. Franchiront-ils le pas des trente dollars ? Rien n’est moins sûr…

Mulan, le 4 septembre sur Disney+

Quoi qu’il en soit, cette action de la part de Disney montre bel et bien que la situation devient difficilement tenable, que la panique est là sans qu’on en voit la fin, et pour les exploitants dans le monde, qui ne savent pas combien de temps encore ils vont pouvoir tenir sans spectateurs, et pour les grandes majors, qui se doivent de sauver leurs films. L’équipe de Disneyphile apporte d’ailleurs son soutien aux exploitants qui vivent actuellement un mauvais moment. Dans ce contexte où les films sont repoussés indéfiniment, des distributeurs comme Disney projettent de refaçonner leur manière de vendre leurs films. Tout change depuis des mois… Car si la situation n’évolue pas, les studios seront contraints de tous suivre, condamnant par la même occasion les salles de cinéma, en balançant tous leurs films initialement prévu au cinéma, sur des plateformes de vidéo à la demande. La chronologie des médias devra elle aussi muter en conséquence dans de nombreux pays pour s’adapter à ce nouveau système de l’urgence. Tout se jouera le 4 septembre 2020 avec Mulan probablement, qui sera annonciateur ou non d’une nouvelle ère de consommation du cinéma !

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